dimanche 30 décembre 2012

Design en Afrique / Musée Dapper / Paris

DESIGN EN AFRIQUE

S’asseoir, se coucher et rêver

L’exposition Design en Afrique dévoile un univers voué principalement à des objets supportant le corps. Leur conception est marquée par une créativité en prise directe avec les attitudes, les mouvements, mais aussi avec les symboles de la décoration. Formes et fonctions dialoguent pour le confort des uns et le prestige des autres.

croquis MV.
Akan / Asante, Ghana. Siège bois et pigments H 39 cm. Musée dapper.
A gauche : Sénégal, Nicolas Sawalo Cissé, Chaise enfant, 1998, Contreplaqué de bouleau et boîtes métalliques de récupération, H. : 80 cm, Acquise avec l’aide du Conseil général de la Loire, Musée d’Art moderne de Saint-Étienne. Inv. n° 99.2.1 © Photo d'Yves Bresson / Musée d'Art Moderne, Saint-Etienne métropole- A droite : Dogon, Mali, Crosse-siège, Bois et pigments, H. : 45 cm, Collection particulière © Archives Musée Dapper et Dominique Cohas

Iviart Izamba (RDC), Fauteuil Mobutu, 2005 Métal et peau. H. : 85 cm Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren Inv. n° HO.2011.54.1, exposition "Design en Afrique", Musée Dapper. WALTER DHLADHLA (AFP)/JO VAN DE VYVER, MRAC TERVUREN

A gauche, Alassane Drabo (Burkina Faso), Cadre d'union, 2005, Collection de la Biennale d'art africain contemporain, Dakar - A droite, Cheick Diallo (France/Mali), Fauteuil Chekou, 2006, Collection particulière © Archives Musée Dapper et Dominique Cohas

Kossi Assou (Togo) : Slim bed, 2009 Tôle et bois L. : 201 cm Collection particulière. ARCHIVES MUSÉE DAPPER ET DOMINIQUE COHAS

Le dossier de presse à télécharger
Dossier de l'exposition sur  RFI.fr
Interview de Christiane Falgayrettes-Leveau, par Pierre Normann Granier, le 22 octobre 2012
Dossier Africa Remix Centre Pompidou/2005

Les designer présentés :
- Kossi Assou,
- Nicolas Sawalo Cissé,
- Issa Diabaté,
- Vincent Niamien,
- Antonio Pépin et Christian Ndong,
- Menzamet,
- Alassane Drabo,
- Balthazar Faye,
- Iviart Izamba,

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Cheick Diallo : http://www.diallo-design.com/

Cheick Diallo rocking chair
Cheik Diallo rocking rondelles

 

- Cheick Diallo sur le site du VIA


Cheick DIALLO / Made in Mali from VIDEOFORMES ARTISTS GALLERY on Vimeo.

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Ousmane MBaye : http://ousmanembayedesign.com/

Ousmane Mbaye (Sénégal), Patrimoine, tabouret XXL 2006 tubes galvanisés et fûts de pétrole H : 57 cm

meuble de cuisine Ousmane Mbaye /

texte issu du site de Ousmatubes galvanisés et fûts de pétrole

Texte issu du site de Ousmane Mbaye
(...) Ousmane MBAYE éprouve une particulière prédilection pour le métal et aime partir de la matière brute pour, en la pliant au gré de son inspiration, en l’assemblant et en la retravaillant, en faire une table, un plateau, une lampe.
Chez lui point de ce misérabilisme cher au discours des « récupérateurs ». La tôle, le fer des emballages recyclés inspirent une partie de sa créativité et il les retravaille pour les ennoblir, faire chatoyer leurs couleurs et les faire accéder au rang d’œuvre d’art à part entière.
Son œuvre n’est pas le rassemblement des déchets de toutes les poubelles du monde. Il s’agit d’un choix structuré d’une matière spécifique dont les dégradés de couleur passés au nuancier du temps et des usures, démultiplient sa créativité.
Sur cette matière, la meule de l’artiste trace de grands coups de pinceau au gré d’une inspiration maîtrisée par une technique soigneusement apprise et qui peut donner une forme à ses rêves les plus chimériques.
Utilitaire, certes, cette œuvre abondante et multiforme, dont chaque pièce est forcément unique, accède, sans qu’aucun doute soit permis, à l’unique statut qui ait toujours été le sien, celui d’œuvre d’art et, parfois, de chef-d’œuvre ! (...)
OUSMANE MBAYE - METROPOLIS - ARTE 2005


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Jules-Bertrand Wokam.



Une mosquée à Tombouctou
le "Tabouret Tombouctou" (2005) de Jules-Bertrand Wokam, exposé dans le "Design en Afrique" au musée Dapper à Paris.
La destruction du monument de l’Indépendance à Tombouctou ce 27 octobre a mis en évidence le sens profond de l’œuvre du designer africain Jules-Bertrand Wokam, actuellement exposée au musée Dapper à Paris. Sa création, inspirée par la mosquée Jingereber de Tombouctou, a été rattrapée par l’actualité et le saccage des trésors du patrimoine mondial à Tombouctou par les islamistes armés. Entretien (réalisé avant la destruction du monument de l’Indépendance) avec le designer camerounais Jules-Bertrand Wokam, sur la symbolique de son « Tabouret Tombouctou ».

À quoi ressemble votre tabouret ?

C’est un tabouret qui s’appelle « Tabouret Tombouctou » avec deux joues en bois brut totalement pleines et une assise qui est une cuvée. Sur les faces du tabouret, on a des petits pics en bois qui rappellent un peu l’échelle qu’on retrouve sur la mosquée Jingereber de Tombouctou et qui permettait à entretenir ce bâtiment-là.

Ce tabouret est-il caractéristique pour votre travail ?

Dans mon travail, j’essaie de faire le lien entre les objets du passé et quelque chose qui pourrait vivre dans les intérieurs d’aujourd’hui. Je m’inspire beaucoup de l’architecture, des objets symboliques traditionnels et j’essaie de tirer le fil de ces objets pour les inscrire dans les objets actuels et dans les intérieurs d’aujourd’hui.

Votre œuvre est fortement inspirée de Tombouctou. Quelle est votre réaction par rapport aux saccages du patrimoine culturel dans cette ville ?

Cet objet a été créé, il y a cinq ans. Il a été rattrapé par l’actualité d’aujourd’hui. Ce qui m’a intéressé, c’est qu’on a un édifice qui fait partie du patrimoine et qui a besoin d’être entretenu tous les ans pour continuer à vivre. Ce bâtiment a traversé l’histoire en gardant ce lien-là. Aujourd’hui, ce lien est très fragile et peut-être il va se casser. On ne sait pas s’il va rester ou pas.
C’est comme s’il y a un background politique qui a rattrapé l’objet, qui n’était pas voulu au départ. Au départ, je m’intéressais aux aspects esthétiques de cet objet qui est fragile et que j’inscris dans quelque chose d’immuable. Un fait m'a fait interéssé, c'est que toute la communauté se réunit pour entretenir cet objet. Une fois par an, toute la communauté du village doit se réunir, doit préparer la terre pour entretenir cet objet qui garde ainsi le lien avec leur passé. Un objet qui a pu traverser l’histoire, c’est quelque chose qui me semble important aujourd’hui, dans un contexte comme celui-là.

Vous travaillez avec l’imaginaire de Tombouctou. Est-ce que vous vous sentez vous-même agressé quand ces monuments à Tombouctou ont été saccagés ? Avez-vous le sentiment de défendre ce patrimoine à travers vos œuvres ?

Oui, c’est l’idée aussi. Ce n’est pas anodin. C’est quelque chose qui doit être défendue, poursuivie. Et à chaque fois, je me disais, toute cette civilisation qui a pu générer tous ces objets-là, à un moment donné, on a eu l’impression que le fil de l’histoire s’est coupé et qu’il n’y a plus rien eu. Ce travail aurait pu être poursuivi. On aurait dû avoir une architecture contemporaine africaine aujourd’hui qui est née de cela, qui serait partie de cela. Mais à un moment donné – du fait de la colonisation, de l’histoire- quelque chose a été coupé. Dans mon travail, j’essaie de tirer les liens de ce passé-là pour emmener cela dans un contexte d’aujourd’hui.

Peut-on parler de design tribal ?
par Dominique Blanc sur Connaissance des arts
Le hasard de deux expositions parisiennes, l’une sur les cuillers dans les sociétés non européennes, l’autre sur les sièges africains d’hier à aujourd’hui, soulève une question iconoclaste : peut-on véritablement parler de design tribal ?

Peu de points communs, a priori, entre l'objet de design occidental et le bel objet tribal utilitaire. Le premier, chic et cher, porté par la renommée de son concepteur et le marketing qui s'y rattache, s'inscrit dans les « tendances » et le snobisme qui, peu ou prou, les accompagne.
Le second n'a le plus souvent pas d'auteur connu (du moins après l'arrivée de l'objet en Occident) et il a été réalisé pour un commanditaire bien identifié - un notable, une famille, une association - au sein d'un atelier, parfois réputé dans son aire géographique. Par le dessin, les matériaux, la qualité de l'exécution, tous deux partagent cependant un même sens de l'objet d'exception, relèvent d'un même travail sur le concept de son usage, qu'il s'agisse d'un siège, d'un lit ou d'une cuiller : repensé, retravaillé, reimaginé jusqu'à produire une vision renouvelée de sa forme.

Dans le cas des concepteurs les plus audacieux, à tout le moins. On est alors confronté à la vision élitiste d'un objet à nul autre pareil. Objet d'usage, certes, mais surtout signe de distinction sociale, que sa perfection même et son coût confinent à l'environnement de quelques-uns. Objets de luxe-objets d'art, produits en édition numérotée ou en série plus ou moins importante dans nos sociétés où la rationalisation industrielle est passée par là. OEuvres d'artisans de haut vol, produites à quelques exemplaires, dans le contexte des sociétés traditionnelles non européennes.

L'art appliqué au quotidien « Cette esthétisation de la vie quotidienne connote l'objet telle une oeuvre, comme si l'image l'emportait sur la fonction », écrit Joëlle Busca à propos du design occidental dans le catalogue de « Design en Afrique », la prochaine exposition du musée Dapper. Et aussi : « Le design brouille les frontières entre art, artisanat, ingéniorat et industrie. Ce qu'accroît la pratique de plus en plus usitée de la pièce unique ». Transposer cette manière d'esthétiser le quotidien aux objets d'usage des sociétés traditionnelles non européennes (armes, sièges, poteries, poulies de métiers à tisser, instruments de musique, etc.) n'a rien d'anodin. Un courant important de l'ethnographie considère en effet qu'aborder prioritairement ces objets sous l'angle de l'esthétique s'apparente à une forme d'annexion des cultures dont ils sont issus à un mode de « vision » qui serait purement occidental, aboutissant à parasiter les symboliques culturelles qui leur donnent sens et justifient leur existence : l'image ne doit pas l'emporter sur la fonction. (...)

CIBLES au musée de la chasse & de la nature / Paris


1/ Présentation du musée
2/ Cartels & images de l'exposition cibles
3/ Spécial Niki de Saint Phalle
1
Un musée détonnant qui a fait sa mue scénographique en incluant — dans des collections traditionnelles de trophées de chasse, d'armes et d'objets techniques sur la chasse, d'informations sur les animaux — des œuvres contemporaines.
Lorsqu'on évoque le loup ou le cerf, on est face à des cabinets de curiosités contemporains qu'on peut manipuler ; des trophées de sangliers s'animent mécaniquement, de vrais-faux objets techniques comme les appeaux, avec de vraies-fausses étiquettes provoquent la crédulité du spectateur, des trompe-l'œil en forme de trous de souris — avec leurs propriétaires — sont disséminés dans quelques coins.

cliché MCmarco
Quel bilan dressez-vous cinq ans après la réouverture d’un Musée de la chasse et de la nature agrandi ?
Claude d'Anthenaise : Je suis un conservateur heureux parce que je vois le public venir ou revenir dans une institution qui était un peu désertée auparavant. Au-delà de cette satisfaction en termes de fréquentation (50 000 visiteurs en 2011) qui n’est pas négligeable, mais pas non plus essentielle, je me réjouis du changement d’image. Le musée qui avait une réputation un peu désuète a acquis une certaine crédibilité dans la scène parisienne et internationale. (...) 
Quel est le sens de l’introduction de l’art contemporain dans votre musée ?
C.A. : C’est une nécessité puisque, dorénavant, le but du musée est d’illustrer la problématique du positionnement de l’Homme dans la Nature. La question est particulièrement d’actualité et ce serait absurde de vouloir la traiter uniquement avec des œuvres du passé. La collection héritée des fondateurs était magnifique. Mais le XVIIIe siècle y était majoritairement représenté, le XIXe siècle un peu moins, et il n’y avait rien pour le XXe siècle. Pour nous, il ne s’agit donc pas de faire de l’art contemporain pour être à la mode : les artistes, les thèmes abordés sont à chaque fois choisis au regard de ce questionnement, qu’il s’agisse du rapport entre nature et culture, de l’animalité, de la ruralité. Quand j’ai réaménagé le musée, il fallait plutôt se mettre en quête d’artistes. Certains étaient probablement réticents à venir exposer dans un lieu qui n’était pas référencé parmi les institutions vouées à l’art contemporain. La première à avoir franchi le pas, et je lui en suis reconnaissant, c’est Gloria Friedmann avec son installation « Numéro vert » en 1999. Maintenant la tendance s’est complètement inversée. Le musée est très sollicité par les créateurs qui traitent des questions environnementales ou du rapport à l’animal, et ils sont très nombreux. Au début, l’introduction de l’art contemporain a suscité quelques remous au sein du conseil d’administration. Je pense que ce n’est plus du tout le cas maintenant. (...)
Interview dans le journal des arts du 25 mai 2012
cliché MCmarco

2
Exposition CIBLES

Selon une tradition d’origine germanique remontant au XVIe siècle, les sociétés de tir organisent des concours dont l’enjeu consiste à tirer sur une cible minutieusement décorée de scènes de genre. Les tireurs étaient appelés à exercer leur habileté sur ces images représentant des animaux ou des personnages. Une fois criblées de balles, celles-ci avaient valeur de trophées pour les vainqueurs des compétitions.
L’oeuvre conçue pour être détruite témoigne d’un rapport à la pratique artistique dont une partie de la création contemporaine pourrait être le prolongement. C’est ce qu’explore l’exposition. Une cinquantaine de cibles anciennes, principalement conservées dans les musées de Croatie, sont ainsi confrontées à des oeuvres récentes utilisant le motif de la cible (Jasper Johns, Stephen Dean, Camilia Sposati…), marquées d’impacts (Lucio Fontana…) ou dont le processus créatif recourt au tir (Niki de Saint Phalle, William Burroughs, Anne Deleporte…).
Le thème de la cible permet également d’évoquer la notion du « regard prédateur » indissociable de la création artistique depuis les origines. L’art comme instrument de capture trouve notamment son expression dans la figuration du « corps-cible », qu’il s’agisse de l’image de l’animal (Mark Dion, Alain Séchas, Arno Kramer…) ou de celle de l’homme (Marija Ujevic-Galetovic , Shirin Neshat…). Ainsi les représentations du martyre de saint Sébastien (Pierre et Gilles…) viennent rappeler que ce personnage est patron des archers et protecteur des sociétés de tir.
« Je t’aime donc je te tue »
« C’était une sensation étonnante de tirer sur un tableau et de voir comment il se transformait lui-même en un nouveau tableau. C’était excitant et sexy, mais tragique en même temps parce que nous devenions, dans le même moment, les témoins d’une naissance et d’une mort ». Dès 1961, Niki de Saint Phalle s’engage dans une pratique violente de l’art avec son Portrait of my Lover où une cible tient lieu du visage attendu. L’artiste poursuit dans la même voie en tirant et invitant le public à tirer sur des toiles qui saignent comme des êtres humains. Elle prolonge en quelque sorte les expérimentations de Lucio Fontana : à force de perforations et de lacérations celui-ci voulait donner une nouvelle dimension spatiale au tableau en y ouvrant autant de brèches. Mais il n’avait pas d’intention sacrilège, contrairement aux happenings organisés par Niki de Saint Phalle et son compagnon, Jean Tinguely, dans leur atelier de l’impasse Ronsin. Et le vif émoi que ces expériences suscitent dans le public et chez les critiques d’art témoigne qu’elles sont perçues comme le nouveau « crime de l’impasse Ronsin » : un attentat contre l’art.
Pourtant, la pratique consistant à ritualiser la destruction d’une oeuvre d’art n’est pas nouvelle. Cette forme sublime d’offrande aux dieux trouve une expression profane et bourgeoise dans la pratique du tir sur cibles. Liée à l’essor des villes, elle se développe en Europe occidentale dès la fin du Moyen Âge. Pratiquement éteinte en France à la Révolution, elle se poursuit pourtant dans les territoires de culture germanique comme la Croatie jusqu’à une période plus récente.
Curieusement, l’image vouée à la mutilation est rarement repoussante. On ne tire pas sur la mort ou sur le diable mais bien sur ce que l’on désire. En effet, il s’agit moins d’éliminer que de saisir, d’anéantir que de posséder. Une des grandes fonctions de l’art depuis les origines consiste en « la capture par l’image ». De ce point de vue, la cible peinte pourrait en être le développement ultime dans la mesure où, à travers sa destruction, le tireur vise l’appropriation de la réalité que l’image représente.
Issues d’une longue tradition, les oeuvres que commandent les sociétés de tir relèvent de l’art populaire. Leur confrontation à des créations contemporaines explorant les mêmes thèmes permet d’en révéler le sens caché qui parfois a pu échapper aux auteurs. À travers le motif de la cible se pose la question du regard prédateur.

 
Claude d’Anthenaise
Je recopie ici quelques cartels très riches. Ça ressemble à du Annie Lebrun, co-auteure du catalogue.

INACCECIBLE
La pratique consistant à ritualiser la destruction d'une œuvre d'art n'est pas nouvelle. Cette forme sublime d'offrandes aux dieux trouve une expression profane et bourgeoise dans la pratique du tir sur cibles. Liée à l'essor des villes, elle se développe en Europe occidentale dès la fin du Moyen Age. Pratiquement éteinte en France à la Révolution, elle se poursuit pourtant dans les territoires de culture germanique comme la Croatie jusqu'à une période plus récente.
Curieusement, l'image vouée à la mutilation est rarement repoussante. On ne tire pas sur la mort ou sur le diable mais sur ce que l'on désire. En effet, il s'agit point d'éliminer que de saisir, d'anéantir que de posséder. Une des grandes fonctions de l'art depuis les origines consiste en la "capture de l'image". De ce point de vue, la cible peinte pourrait en être le développement ultime dans la mesure où, à travers sa destruction, le tireur vise l'appropriation de la réalité que l'image représente.

REVERSCIBLE
Parmi les thèmes iconographiques auxquels recourent les décorateurs de cibles revient souvent la figuration de membres de la confrérie ou de leur compétition. De manière parodique, le tireur devient sa propre cible. Cette "réversion" n'est pas insignifiante. Au delà de l'humour, elle introduit une sorte de tension dramatique, un enjeu extrême quoique d'ordre symbolique que l'on retrouve dans la pratique de l'art contemporaine de l'artiste et performeur Philippe Perrin. De manière générale, la conception des cibles reproduit la forme d'un œil centré sur le rond noir de la pupille. Dans une mortelle mise en abîme, le tireur fait-il face à son propre regard ?

Philippe Perrin
PHOTOSENCIBLE
Il y a de nombreuses analogies entre la photographie et la pratique du tir. La photographie n'est-elle pas un mode de capture de l'image ? Si le vocabulaire technique garde la trace de cette troublante proximité, certains dispositifs poussent très loin la ressemblance. Ainsi le fusil photographique inventé par E-J. Marey en 1882 permet des prises de vues en rafale. Une attraction foraine a longtemps consisté à se tirer le portrait en visant une cible qui actionne le déclencheur d l'appareil. Cet exercice a séduit les milieux littéraires, depuis les surréalistes jusqu'à Michel Butor qui y fait allusion dans L'emploi du temps.

Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre Fairground at Porte d’Orléans 1929
(Image courtesy of The Photographer’s Gallery)
OSTENCIBLE
Le caractère graphique de la cible en fait un motif de prédilection chez las artistes depuis le début du XXe siècle. Elle introduit un élément dynamique avec ses cercles concentriques qui incitent le spectateur à pointer son regard au cœur de l'œuvre : la contemplation vient se substituer à l'exercice de tir. Si Lucio Fontana cherche à donner une nouvelle dimension spatiale à la toile en la perforant, d'autres artistes vont recourir au tir et à la destruction qu'il induit comme moyen de création de l'œuvre.

JOHNS, Jasper / Target with Plaster Casts / 1955
Encaustic and collage on canvas with objects
129.5 x 111.8 cm (51 x 44 in)
Collection Mr. and Mrs. Leo Castelli
CORPS CIBLE
"Quand tu es torse poil, tu seras toujours la première cible du tireur en face" fait dire Pierre Schoendorffer à l'un se ses soldats de la 317e section. Le thème du corps cible est un inépuisable sujet d'exploration artistique ou psychologique. Il est parfois associé à la dénonciation des guerres ou de l'absolutisme politique. S'opposant à l'Empereur Dioclétien et refusant d'abjurer sa foi chrétienne, Sébastien subit le martyr. Cela lui vaut d'être choisi comme patron par la plupart des confréries d'archers et d'arquebusiers. Modèle apollinien de la jeunesse et de la beauté, il attire les regards et les traits meurtriers.

Saint Sébastien / Andrea Mantegna / 1480 / Le Louvre
SENCIBLE
Les chasseurs n'ont-ils d'autres manières de s'approprier l'animal qu'en lui retirant la vie ? L'intense émotion causée par la rencontre du gibier ne saurait perdurer au-delà de cette infime hésitation du temps entre la fuite de l'animal et sa mort. Et celle-ci, en transformant l'être en objet, laisse insatisfait le "tueur amoureux". Les décorateurs de cibles recourent naturellement au thème de la chasse auquel le pas de tir offre un piètre substitut. L'enjeu n'est pas le même, il y manque cette part de liberté sacrifiée.

JE T'AIME DONC JE TE TUE
A la suite d'une contrariété amoureuse, Niki de Saint Phalle, crée Saint Sébastien, ou portrait of my lover, composition où une cible à fléchette occupe la place du visage attendu. En 1961, l'artiste renouvelle cette composition avec Hors d'œuvre présentée au Salon Comparaisons où le public est invité à tirer sur la cible. Au-delà d'une posture féministe qui tendrait à inverser les rapports de domination, cette mise à mort symbolique ne renvoie-t-elle pas à l'impasse de toute quête amoureuse, l'Etre se dérobant obstinément de toute possession ?

Niki de Saint Phalle / portrait of my love / 1961
IRREPRESCIBLE
"C'était une sensation étonnante de tirer sur un tableau et de voir comment il se transformait lui-même en un nouveau tableau. C'était exaltant et sexy, mais tragique en même temps, parce que nous devenions, dans le même moment, les témoins d'une naissance et d'une mort." Dès 1961, Niki de Saint Phalle s'engage dans une pratique violente de l'art en tirant et invitant à tirer sur des toiles qui saignent comme des êtres humains. Le vif émoi que ces expériences suscitent dans le public et chez les critiques d'art témoigne qu'elles sont perçues comme un attentat contre l'art.

IMMARESCIBLE
Quel chasseur n'a éprouvé une sorte de vertige au moment où la pression de son doigt sur la détente va interrompre la sérénité et le silence qui l'environnent ? Les peintres de cibles s'inspirent de cette expérience en proposant aux tireurs d'exercer leur adresse sur la représentation d'une nature idyllique, jardin fleuri ou paysage agraire. Contrairement aux apparences, la mort n'a pas disparu du paysage... Le coup de feu vient apporter quelque chose d'irrémédiable. Face à la parfaite complétude du monde, n'est-il d'autre issue que détruire pour créer ?
3
Niki de Saint Phalle
Niki de Saint-Phalle, Tir- séance 26 juin, 1961 (in progress): Artistic action: participants (left to right, shooting at pigment sacks hung on tableau): Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle, unidentified man kneeling), Paris, Impasse Ronsin, 26 June 1961 (photo: Shunk-Kender; © 2008 Niki Charitable Art Foundation, all rights reserved / VG Bild-Kunst Bonn 2012; photo © Roy Lichtenstein Foundation, Shunk-Kender)
Neuilly-sur-Seine (France), 1930 - San Diego (Etats-Unis), 2002
Les Tirs de Niki de Saint Phalle réalisés en 1961, tels de véritables performances guerrières, peuvent apparaître aujourd'hui comme l'un des actes fondateurs d'une certaine incarnation de la femme artiste, engagée et militante. Les Tirs sont fixés sur une planche, des tubes emplis de couleurs sont recouverts de plâtre et sont percés par des tirs à la carabine.
Les cibles visées par ces Tirs sont nombreuses et complexes, mêlant étroitement les préoccupations personnelles ou intimes de l'artiste à des problématiques sociales, politiques, esthétiques. Toutes renvoient cependant de manière directe ou indirecte à l'idée sous-jacente d'une domination masculine, à abattre, mais aussi à un désir d'affranchissement et de liberté.
Des Tirs comme un signal de départ, entendu dans l'élan et la mobilisation d'une génération d'artistes femmes qui revendiquent de se réapproprier tout ce qui fonde la condition féminine. Comme elle le dit "Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire c'est affirmer qu'on existe envers et contre tout."


X Niki de Saint Phalle tire
Niki de Saint Phalle / 1961
 (...) «Tout cela ressemble formellement aux peintures abstraites expressionnistes que l’on faisait à l’époque”, dira Niki de Saint Phalle à Pontus Hulten, évoquant sans le nommer son côté drippings et la référence à Pollock qu’elle a découvert comme le reste de la peinture américaine, en 1959. Enocore faut-il ajouter qu’il s’agit pour elle d’un assemblage d(objets symboliques et d’une action mécanisée. La transgression n’a pas échappé aux observateurs. Elle tire souvent en pantalon, insistant sur son côté androgyne, et à partir d’un certain moment dans une tenue blanche qu’elle ne porte que pour ces actions, comme une vestale, dira-t-elle. En Italie, l’édition du dimanche du Carrière la représente en Calamity Jane, tirant l’air rêveur sur des oeuvres qui explosent, sous le regard étonné d’un enfant et la mine réprobatrice d’un homme qui ressemble étrangement à son mari de l’époque.
De fait, l’attitude qu’elle se donne est frondeuse et il n’est qu’à voir les photos qu’elle choisit pour présenter l’exposition « Feu à volonté » à la galerie J à l’été 1962. Elle est en tenue de travail, en pantalon et chemise tâchés de peinture et de plâtre, armée de sa carabine et visant. Un tableau est présenté, avant et après les tirs, encadré façon Napoléon III, vierge puis maculé. Sur la dernière image, l’artiste pose les bras croisés, l’air satisfait et légèremet amusé. Le commentaire du carton ne dément pas son intention de choquer, où il est question d’un geste d’assassin ou de mari trompé qui devient une invitation au voyage, « dans un monde d’étranges merveilles où le sang cède aux plus riches couleurs, où l’exposition suscite la forme neuve, où la blessure est poétique »... (...)
Niki de Saint Phalle dira à Maurice Rheims que son travail a toujours été sa façon d’exprimer ses problèmes “puis de les exorciser, comme les noirs avec les fétiches, ...”.
[image 41]
p 224 & 225, // entre Rauschenberg et Niki de Saint Phalle
(...) Ce faisant, elle aura par exemple clairement détourné le fusil colonial contre d’autres cibles — le symbole n’a pas échappé aux observateurs. (...)
Rauschenberg
 ORDRE SAUVAGE Laurence Bertrand Dorléac Arts et artistes/Gallimard 2004 / Violence, dépense et sacré dans l’art des années 1950-1960

samedi 22 décembre 2012

Le musée des cœurs brisés


Jusqu'au 20 janvier 2013 est présenté au 104 à Paris une exposition intitulée : "Le musée des cœurs brisés".

Il est extrêmement intéressant de constater comment cette exposition et le concept qui lui est associé sont proches de notre travail Lisboa/ collection.
Il s'agissait pour les concepteurs "des cœurs brisés" de collecter (de faire collection), d'intituler cette collection musée, puis de présenter.

Malheureusement, l'exposition ne tient pas ses promesses. Une scénographie qui ne sert pas les objets (quelques socles, des lumières crépusculaires) et des cartels qui sont les textes des donateurs.
Aucun recul, aucune "mise en perspective", un gnan-gnan insupportable.

Seul(e)s quelques lucides se sont exprimé(e) sur les affichettes mises à disposition.

qqs photos :









Le lien pour l'exposition "Le musée des cœurs brisés" sur le site du 104.

Texte issu d'une dépêche de l'agence Reuters
 
Un musée des coeurs brisés, dans lequel sont exposés une centaine d'objets et de textes qui témoignent d'amours passées, s'installe mercredi soir pour un mois à Paris. Dans un espace en béton au sous-sol du 104, dans le 19e arrondissement de Paris, des colonnes blanches présentent aux visiteurs un canard en plastique, une alliance, une robe de mariée rouge ou encore des escarpins achetés à Pigalle.
Autant de reliques de relations cassées, accompagnées d'un texte, de quelques mots, d'un poème, d'un cri, de deux dates, celles de début et de fin, et d'une ville. Ici, une copie de L'éducation sentimentale de Flaubert témoigne d'une relation parisienne qui aura duré 19 ans. "Un amour de jeunesse qui devint l'amour d'une vie", dit le texte qui l'accompagne. Là, des dreadlocks - mèches de cheveux emmêlés - immortalisent un amour de 7 ans, à Alfortville, qui "a laissé un énorme trou noir".
"Ces objets n'ont pas de valeur, c'est un marché aux puces, mais on essaie de les montrer avec dignité et de créer une sorte de temple", dit Olinka Vistica, l'une des deux commissaires de l'exposition. "Pour les gens, ça a un effet cathartique."
Comme dans toutes les villes où il s'est arrêté, ce musée itinérant, créé en 2006 en Croatie, s'est enrichi à Paris de reliques locales. Un appel aux dons a été lancé et 100 contributions ont été collectées en deux mois. "J'ai tout de suite été attirée par ce projet car je suis une grande collectionneuse qui a du mal à jeter", confie l'une des donatrices. "L'idée d'offrir une deuxième vie à ces objets, d'en faire quelque chose, qui soit un intermédiaire entre rien et les garder dans une boîte à chaussures" m'a plu, dit-elle.

Adultère et introspection

Ce musée, qui n'était au départ qu'une installation dans un container, dans le jardin d'une galerie de Zagreb, est né de la rupture de ses deux commissaires, en 2004. Pour les deux amants croates, lui artiste plasticien et elle productrice de cinéma, il s'agissait de garder une mémoire "créatrice, et non pas destructrice" de leur relation, explique Olinka Vistica.
La collecte d'objets a commencé dans leurs cercles d'amis. Six ans plus tard, le concept, devenu en 2010 un musée permanent à Zagreb, a voyagé à travers le monde et séduit les amoureux déçus de plus de 20 villes sur tous les continents, sauf l'Australie.
"Ce qu'on découvre au fur et à mesure, c'est que c'est un sentiment vraiment universel, mais beaucoup d'histoires ne parlent pas uniquement de la relation des deux personnes, mais aussi de la culture du pays", souligne Olinka Vistica.
Aux Philippines, de nombreux textes évoquent l'émigration. Dans les Balkans, la guerre est omniprésente dans les objets choisis, comme cette prothèse de genou d'un invalide de guerre tombé amoureux de son assistante sociale. "À Paris, on voit bien qu'on est dans une grande ville, les gens vivent rapidement, leurs relations se font et se défont très vite, il y a beaucoup d'adultères", dit Olinka Vistica. Les textes recueillis dans la capitale française sont également plus introspectifs, ajoute Drazen Grubisic, co-commissaire de l'exposition. "C'est comme si tout le monde ici était allé chez le psy", dit-il.
Jusqu'au 20 janvier, ces reliques de relations amoureuses, mais aussi filiales et amicales pour quelques-unes, interpelleront les visiteurs du 104. Un espace symbolique puisqu'il abrita jusqu'en 1997 le service municipal des pompes funèbres de Paris, souligne Olinka Vistica. "On ne crée pas un cimetière", dit-elle. Mais c'est "comme une cérémonie d'adieu".

samedi 15 décembre 2012

Compte-rendu BD de la visite au FRAC



Ici, un montage de quelques dizaines de vignettes à regarder sur VIMEO   qui reconstituent la visite du FRAC Pays de la Loire à Carquefou.
Le but du travail était de restituer la visite par des moyens BD.


samedi 1 décembre 2012

FRACAS au FRAC


Vendredi 30 novembre, nous avons passé la journée au FRAC des Pays de la Loire, à Carquefou.

La journée s'était très bien engagée avec l'excellent accueil dans l'exposition des ateliers et à la bibliothèque, le repas à la cafétaria Casino et la présence en tout début d'après-midi de Christine Laquet.
Christine Laquet et Marc Vayer avaient convenu, en discutant, de laisser l'ensemble du groupe, et non pas un demi groupe comme initialement pensé, regarder la vidéo de la performance avant d'engager des commentaires et un dialogue.
L'ensemble du groupe s'est alors assis par terre, face à l'écran.
Pendant que les élèves et Anne Claire Gillot regardaient la vidéo, Christine Laquet et Marc Vayer ont profité de ce temps pour échanger sur la formation et les élèves.
A la fin du visionnage de la vidéo, Christine Laquet demande au groupe de se déplacer pour commencer l'échange et c'est alors qu'un élève, se relevant de sa position assise, a été déséquilibré dans le même mouvement et est venu heurter avec sa tête le bas de l'œuvre trapèze. Il s'était assis sous l'œuvre suspendue au plafond et n'a plus pensé en se relevant à la présence de l'objet au dessus de sa tête.
Une partie de l'œuvre en verre s'est donc brisé en "mille" morceaux.

Passé quelques longues minutes de stupéfaction, les élèves sont allés en bibliothèque pour travailler sur la notion d'hybridation.
Il nous faut ici remercier les médiatrices et médiateurs qui ont pris en charge le groupe pendant que le constat et le rangement de la salle s'opérait.
Il faut également remercier particulièrement Christine Laquet pour avoir réussi à objectiver suffisamment, le choc initial passé, et avoir engagé la discussion et commenté l'ensemble de son travail avec un petit groupe d'élèves.

Dès le week-end, Marc Vayer rédigeait des lettres à l'artiste Christine Laquet et l'équipe du FRAC pour faire part de nos regrets pour cet accident.

La mécanique des assurances va désormais se mettre en route pour permettre les indemnisations et également permettre à Christine Laquet de reproduire les pièces brisées constituées de pâte de verre moulée, soufflée et torsadée manuellement dans un atelier de maîtres verriers.

A gauche, l'œuvre Trapèze suspendue dans l'exposition de Christine Laquet au FRAC de Carquefou. (Photo issue du site web du FRAC)


La caisse où sont rangés les éléments de l'œuvre Trapèze.

Seul un des montants de l'œuvre Trapèze est restée suspendue après l'accident.