Cyril nous a apporté des planches originales de "Portugal" et quelques-uns de ses carnets de croquis du moment.
Nous le remercions encore pour la confiance que ça demande.
Nous avons entendu les très belles paroles d'un dessinateur plein d'humilité mais qui a évoqué facilement et clairement son parcours, les conditions de sa production, ses références et ce que représentait pour lui l'acte de dessiner.
Professeur cyclope, le projet magazine BD sur le web auquel participe Cyril
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1 planche des "Trois ombres" de Cyril Pedrosa |
Croquis de Cyril Pedrosa |
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Compte-rendu
par Pauline Thoer
Introduction de Cyril Pedrosa :
Introduction de Cyril Pedrosa :
« Pour commencer j’imagine que vous ne connaissez pas tous mon travail donc j’ai amené quelques planches de la BD Portugal, et des carnets de croquis personnels qui ont parfois des liens avec mes BD. Au niveau de mon parcours j’ai d’abord fait une MANAA puis une école d’expression visuel, je me suis rendu compte que ce n’était pas ça que je voulais faire mais plutôt de la bande dessinée. Je suis allé aux Gobelins (Paris) pour faire de l’animation mais c’est finalement très différent de la bande dessiné. J’ai ensuite travaillé à Disney en tant qu’assistant animateur. Jusqu’à là ça a été dur de faire réellement de la BD parce qu’en plus je ne savais pas du tout quoi raconter. J’ai donc travaillé pendant une période avec un scénariste, David Chauvel. Maintenant j’ai du mal à ne plus travailler seul car je trouve que l’expression est plus complète, qu’on peut s’immerger dans son scenario, qu’on sait précisément ce qui est caché derrière les mots… Ça permet d’aller beaucoup plus loin et de retrouver dans le dessin l’élan qui est dans l’histoire. Mais après c’est un avis personnel ça dépend vraiment des personnalités. Une fois que le scenario est fait (presque seulement avec du texte), je fais des tout petits croquis pour très peu dessiner et me concentrer juste sur le scenario, la taille des vignettes et son contenu. Ses dessins ne doivent pas être refait plusieurs fois, c’est un peu le risque du dessin car plus on le refait, plus il perd de choses. Puis je fais les dessins le plus directement possible, en essayant de garder la vitalité de l’instant où il est saisit, ça m’aide à ne pas faire des images qui seraient juste des images mais qu’elles aient quelque chose en plus. C’est d’ailleurs ce qui est bien dans mes carnets a croquis personnels car je ne me préoccupe pas de faire un joli dessin mais juste d’attraper quelque chose, car ça ne sert à rien de refaire ce qu’on sait déjà faire et que si on ne prend pas de risques, on n’invente rien. »
M. Vayer :
« Avais-tu déjà cette facilité quand tu étais lycéen où te sentais-tu contraint ? »
Cyril Pedrosa :
« Non, j’en étais incapable, j’étais contraint et dès que j’arrivais à faire quelque chose de bien je le refaisais. Mais à cet âge-là je n’avais vraiment pas de culture graphique, je n’allais pas voir d’expositions… Et en plus de la pratique du dessin qui donne des outils, ça aide quand même à s’ouvrir. »
Fanny :
« Avez-vous une technique particulière dans vos BD, comme l’aquarelle ou autre ? »
Cyril Pedrosa :
« Non, je change d’outils en fonction de ce que je veux faire passer de l’histoire. Avant je trouvais que c’était indispensable d’avoir un style donc c’était toujours la même chose mais c’était finalement absurde car c’était d’une pauvreté terrible. La bande dessinée est faite pour raconter des histoires donc il faut se demander quel est le meilleur moyen de la représenter. Au début je ne sais pas du tout à quoi ressemblera mon livre mais je vais plus loin dans la création du coup. Je me confronte aussi à de nouveaux outils et ça me permet de continuer à progresser. Ce n’est pas toujours très confortable mais je mets environ 2 ans à faire une BD donc les outils deviennent confortables au bout d’un moment. Pour Portugal, je m’étais dit que je garderai tout même si c’était raté, je ne me préoccupais donc pas de faire un joli dessin et au bout d’un certain temps je m’y suis habitué. »
M. Vayer :
« Il est peut être nécessaire de faire des dessins stéréotypés au début, non? Etait-ce formateur de travailler dans les dessins animés pour ça ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui bien sûr, ça permet d’acquérir un vocabulaire, de le développer,… Je recopiais beaucoup avant, et c’est aussi formateur car ça permet de comprendre comment l’autre travaille. Surtout quand j’étais assistant animateur, c’était très technique, il fallait dessiner de la même façon que l’animateur donc on doit le comprendre mais c’était très formateur. »
Lucile :
« Combien de temps êtes-vous resté au studio Disney ? »
Cyril Pedrosa :
« J’y suis resté deux ans, c’était intéressant mais très différent de la bande dessinée. Le seul point commun c’est le cadrage, car l’animation les images sont les unes après les autres alors que dans la BD elles sont les unes à côté des autres et il y a toute la question de comment inventer la temporalité, car il y a seulement le vide entre deux vignettes qui le suggère et là est tout l’enjeu. Mais le studio m’a permis de savoir ce que je voulais vraiment faire, ça a été difficile de quitter l’animation car au studio on est porté et on a très peu d’espace de création alors que la bande dessinée c’est complètement libre et ça me paraissait improbable, risqué et il y avait aussi une peur de se retrouver seul face à ses ennuis. »
Bertille :
« Comment faites-vous pour vous inspirer ? Pour Portugal vous avez voyagé par exemple ? »
Cyril Pedrosa :
« Je ne sais pas vraiment ce qu’est l’inspiration, pour moi c’est plutôt de l’envie ou du désir. Et finalement quand on fait une histoire on n’invente rien, je suis un peu comme un voleur qui utilise tout ce qu’il a accumulé partout sans savoir précisément d’où ça vient, mais ça ne surgit jamais de nulle part. Les dessins sur mes carnets de croquis servent aussi à fixer le temps, à retenir des choses importantes pour les réutiliser. Il y a plein de façons de travailler mais moi c’est plus un sujet qui apparait et dont je ne sais pas quoi faire donc il reste et j’en fais une histoire. »
Lucile :
« Vos personnages sont inventés ou sont tirés de vos dessins d’observation par exemple ? »
Cyril Pedrosa :
« Les personnages secondaires sont souvent tirés de mes croquis mais je m’interdit de faire mes principaux avec ça car ce sont de vrais personnes à la base à qui je n’ai pas demandé l’autorisation. Mais je pense quand même parfois à des gens et je me nourris de ce que j’ai vu. »
Léa :
« Est-ce fatiguant de toujours dessiner ce qu’on voit ou de penser à ce qui se passe, sans pause ? »
Cyril Pedrosa :
« Non, pas plus qu’autre chose, parce que ce que je fais n’est indispensable à personne, c’est juste moi qui en ai besoin, et si je m’arrête de faire attention à ce qui se passe autour, je n’ai plus rien à raconter. Ça ne veut pas dire que je travaille tout le temps, mais il faut aimer ça. Mais parfois je dessine alors que je n’en ai pas envie parce que c’est mon travail. Chacun le vit à sa façon mais je prends dix fois plus de plaisir qu’au début car j’ai moins de contraintes, et que plus j’avance plus je sais utiliser certains outils et j’arrive à prolonger devant moi ce que j’ai en tête, donc il y a une satisfaction aussi. »
M. Vayer :
« Faites-vous des boulots pour l’extérieur, comme par exemple pour XXI ? »
Cyril Pedrosa :
«Ca m’est arrivé quelques fois mais il ne faut pas que ce soit trop contraignant, une fois j’ai fait quelque chose pour un magasine et c’était carte blanche, il y avait juste le format imposé ! Mais sinon parfois avec des collectifs, mais ce n’est pas ce que je préfère faire et ça prend pas mal de temps donc je ne fais pas ça très souvent. Je préfère travailler seul, c’est comme avec le scénariste, il attend quelque chose de moi, il s’est fait une représentation de ce qu’il attendait, je croyais que je le vivais bien mais au final je me rend compte que ça ne me correspond pas du tout. »
Bertille :
« Est-ce que au lycée déjà vous aviez le besoin de dessiner ? »
Cyril Pedrosa :
« Au lycée c’était différent, je dessinais mais sans apprendre grand-chose et donc je n’étais pas capable de faire grand-chose non plus donc c’était frustrant, j’aimais ça mais ça me paraissait improbable de continuer avec ça. »
Lucile :
« Une fois que vous avez fini de faire la BD, ça se passe comment ? »
Cyril Pedrosa :
« Quand je commence un livre, j’ai généralement déjà un éditeur à qui j’ai présenté mon scenario écrit, je lui envoie les pages au fur et à mesure et on en discute. C’est important qu’il comprenne ce que je veux faire et qu’il me dise ce qu’il ne va pas, si ce n’est pas assez lisible… Il y a ensuite des relectures et des corrections puis ça part à l’impression. Je suis allé voir une fois et c’est intéressant parce que enfaite ça influe sur les couleurs lors de la création, comme ils impriment plusieurs pages sur une grande feuille et qu’ils font les réglages comme ça, parfois les contrastes sont trop forts entre deux pages et donc ça ne passe bien à l’impression. »
M. Vayer :
« Techniquement, le dessin vite, précis et spontané est une caractéristique de tes dessins ? »
Cyril Pedrosa :
« Mes dessins ne sont pas toujours si rapides, le problème est surtout de bien comprendre ce que l’on voit, et de compenser les mouvements de gens mobiles. Certains dessins sont ratés, ils paraissent peut être réussis parce que je sais faire tenir un personnage mais ils ne ressemblent pas aux modèles. »
M. Vayer :
« On a vu dans un dessin de Portugal que vous avez superposez les lignes, c’est un procédé de rapidité ? Pour montrer la vision de l’espace du récit ? Ou autre ? »
Cyril Pedrosa :
« Quand on arrive dans une nouvelle ville, on ne la connait pas, elle nous est incompréhensible, on reçoit juste des images, sans être capable de les articuler. Je voulais trouver une manière de raconter ça. Et puis à un moment j’ai dessiné un arrière-plan et j’avais oublié quelque chose devant donc je l’ai rajouté, et je me suis rendu compte que ça marchait super bien pour dire ça. »
Bertille :
« Quand vous faites vos dessins d’observation dans la rue sur vos carnets de croquis, y a-t-il des situations difficiles ? Des gens qui ne veulent pas ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui, je me suis déjà pris deux claques et fait déchirer des feuilles. En même temps c’est plus simple que de prendre en photo les gens car on ne les vise pas mais parfois je dois renoncer à le faire. C’est dommage car en plus ça créé un échange entre les gens. Le problème du dessin c’est de comprendre rapidement ce que l’on voit, la forme dans l’espace… Il faut parfois oublier la représentation des objets qu’on a déjà et avoir un regard neuf sur ce que l’on voit. Si on a un arbre en face par exemple il ne faut pas dessiner un arbre mais les formes qu’on voit de cet arbre-là. Parfois je fais un exercice, je me mets dans la rue, et j’essaye de mémoriser le plus de choses possibles sur ce que je vois d’un passant et je le dessine après, ça ne marche pas tout le temps mais c’est très formateur. »
M. Vayer :
« Mais les réactions sont quand même plus souvent positives que négatives non ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui, ça attire la sympathie le dessin. Il faut réussir a observer d’une façon qui ne soit pas désagréable. »
M. Vayer :
« Et ne pas essayer de cacher ce que l’on fait aussi. »
Cyril Pedrosa :
« Oui c’est ça, sinon tu mets l’autre dans une situation inconfortable en te cachant comme un voleur, au moins là ça devient équitable. Tu prends le risque de faire un dessin raté que la personne va venir voir après. »
M. Vayer :
« Au niveau de la relation noir et blanc avec la couleur ? »
Cyril Pedrosa :
« Je suis moins à l’aise avec la couleur, car on apprend à dessiner mais on apprend pas à utiliser la couleur. J’aime beaucoup ça mais je suis très limité. Je m’y confronte parfois, selon ce que je veux raconter dans la BD mais c’est moins confortable à faire. Avec le noir et blanc c’est facile de mettre de la distance, c’est aussi possible avec la couleur mais c’est plus compliqué. »
Lucile :
« Y a-t-il aussi la question du cout qui est plus cher quand on met de la couleur ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui c’est vrai que c’est plus cher mais il faut aussi savoir que c’est plus facile de vendre quand c’est en couleurs. Les petits éditeurs en font l’économie mais les grands éditeurs poussent à en mettre. Dans Trois ombres c’était volontaire de le faire en noir et blanc parce que je me serai dispersé si j’avais mis de la couleur et je voulais une pagination libre, ce qui n’est pas possible avec la couleur. »
Alexis :
« D’où venait l’idée de l’histoire de Trois ombres ? »
Cyril Pedrosa :
« Il y a assez longtemps j’ai un ami qui a perdu son fils, ça m’a fait me poser beaucoup de questions et il fallait que je fasse quelque chose de ma colère. Donc j’ai pensé à ce qu’un père est prêt à faire pour sauver son fils, et je suis parti du fait qu’il serait prêt à devenir monstrueux pour lui »
Bertille :
« Est-ce qu’il y a une part de vous-même dans vos histoires et est ce que ça aide à se connaitre? »
Cyril Pedrosa :
« C’est un moyen d’expression, quand quelque chose me préoccupe j’utilise la BD pour en faire quelque chose. Il y a forcément une part de moi dedans mais ce n’est pas ma vie non plus, c’est plus pour s’exprimer que pour se comprendre, parfois ça sert un peu mais ce n’est pas du tout pour ça. J’essaye juste de faire quelque chose avec mes envies, les trucs qui m’attirent. »
Flavie :
« Ça vous arrive d’en avoir marre du dessin et d’avoir envie d’arrêter ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui, très souvent, quand je n’y arrive pas, ou que je m’ennuie de répéter la même chose, on ne peut pas changer la tête de son personnage principal par exemple mais au bout d’un moment on en a marre ! C’est l’aspect répétitif de la BD. Donc parfois j’en ai marre de mon dessin. »
Fanny :
« Avez-vous déjà commencé une BD que vous n’avez pas terminé ? »
Cyril Pedrosa :
« Pas souvent, mais c’est déjà arrivé. Une fois je devais faire deux fois cent cinquante pages, et je n’en avais pas vraiment envie, alors au bout d’une dizaine de pages j’ai arrêté, j’ai compris que je n’arrivais pas à travailler avec d’autres gens, et j’avais l’impression d’être trop dans l’illustration. »
Flavie :
« Y a-t-il des gens à qui vous demander de l’aide ? »
Cyril Pedrosa :
« Parfois quand je suis coincé oui, et sinon je le fais lire. J’ai déjà travaillé avec d’autres dessinateurs, et ça aide parce que quand c’est le travail de quelqu’un d’autre on voit ce qui ne va pas, alors qu’avec le sien on ne voit plus. C’est le risque de travailler seul. »
Lucile :
« Avez-vous des limites de temps fixées ? »
Cyril Pedrosa :
« Souvent ça vient de l’éditeur. Je me dis aussi qu’il ne faut pas que je traine parce que sinon l’envie part. Mais il faut avoir une limite, sinon on recommence parce qu’on n’aime pas et finalement on n’avance pas. Quand ton éditeur te donne une date ça t’aide parce que t’es obligé de le finir, mais de toutes façons je suis là pour produire quelque chose donc si ce n’est pas finit, ça ne sert à rien. »
M. Vayer :
« Est-ce que Trois ombres fait référence aux Trois brigands ? »
Cyril Pedrosa :
« Formellement, oui sans doute. »
M. Vayer :
« Et sinon, au niveau des autres références ? »
Cyril Pedrosa :
« Quand j’étais jeune je lisais que des BD très populaires (Asterix,…) Ce n’est qu’à partir de 15 ans que j’ai découvert autre chose, et que j’ai commencé à lire des BD que je n’aimais pas. Sinon, le dessinateur qui m’impressionne le plus c’est Blutch, il pourrait tout le temps être dans la facilité mais il essaye quand même quelque chose d’autre. Un autre qui est très impressionnant c’est David Prudhomme, car il a un dessin incroyable mais il ne le montre jamais. Sinon les BD que je vous conseille sont Journal d’un fantôme de Nicolas De Crecy ou encore celles de Brecht Evens, Les noceurs ou Les amateurs. »
Zephir :
« Et comment s’est passé Angoulême cette année ? »
Cyril Pedrosa :
« Je n’avais pas de BD à soutenir cette année. Mais j’avais un magazine numérique avec d’autres dessinateurs. »
M. Vayer :
« C’est un groupe de dessinateurs avec lequel tu présentes des planches sur un site c’est ça ? »
Cyril Pedrosa :
« On va sortir un vrai magazine, le numéro un sort en mars. »
Zephir :
« Est-ce que tu trouves que des dessinateurs comme Gazzoti ou Minaura font des dessins trop stéréotypés ? »
Cyril Pedrosa :
« Oui ils le sont mais c’est ce qui fait leur force, il y a une relation de familiarité entre le personnage et le spectateur. Il faut que les figures reviennent, ça permet de raconter pleins de choses. Il y a une certaine richesse, et beaucoup de qualités mais jamais de surprises (donc ce n’est pas forcement ce que j’aime) mais ça a une valeur quand même. On trouve du plaisir ailleurs que dans la surprise. »
M. Vayer :
« As-tu fait de l’edition jeunesse ? »
Cyril Pedrosa :
« C’est assez séparé en fait, ce sont plus des illustrations, c’est aussi ce qui fait la vitalité de l’édition jeunesse, mais ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse comme ça reste de l’illustration donc je n’ai presque jamais été sollicité pour ça. J’ai l’impression que c’est produire quelque chose qui ne sert à rien, donc on peut se passer. »