mercredi 7 septembre 2011

Steve Reich et le nine eleven

LIBERATION  / Culture Le 16 août à 0h00
Steve Reich se prend les pieds dans le sépia
Choc . Face au tollé, le compositeur retire la photo des attentats du 11-Septembre sur son prochain CD.
Par ERIC LORET

On connaissait depuis un moment le sujet du nouvel opus de Steve Reich : le 11-Septembre. Composé l’an dernier à la demande du Kronos Quartet, WTC 9/11 comprend des enregistrements des voix des contrôleurs aériens, des pompiers et des survivants de la catastrophe. Beaucoup de ces sons sont disponibles en ligne depuis plusieurs années, et Reich lui-même a expérimenté l’horreur distante de la voix piégée puisque, au moment de l’attaque, il était dans le Vermont en relation téléphonique avec son fils, qui vivait à cinq blocs des tours et voyait la fumée noire envahir son appartement : « Ça n’a pas été un événement médiatique pour moi, déclarait Reich au Los Angeles Times, mais une expérience terrifiante que je n’oublierai jamais. »
Malaise. Comme pour son chef-d’œuvre de 1988, Different Trains, qui traitait de la Shoah, il s’agit d’approcher l’inapprochable. La méthode consiste ici à tirer la mélodie des voix enregistrées pour en faire un thrène poignant qui soit aussi un témoignage de survie, une invitation à l’espoir humain.
Las, la mauvaise idée vient plus tard. Lorsque l’œuvre, après avoir été exécutée en public et bien accueillie, est gravée pour le CD et que la maison de disque de Reich, Nonesuch, décide de mettre une photo du second avion sur le point de percuter la seconde tour en pochette.
C’est un trait caractéristique de la musique minimaliste américaine (outre son antisérialisme, qui la place aux antipodes de notre tradition darmstadtienne) de se frotter aux sujets brûlants. John Adams avait ainsi déjà provoqué le malaise en mettant en opéra la mort de Henry Klinghoffer lors de la prise d’otage de l’Achille Lauro par le Front de libération de la Palestine dans The Death Of Klinghoffer (1985). Dans le livret, Juifs et Palestiniens se trouvaient à armes théoriques égales, et les terroristes étaient montrés comme des êtres humains pétris de contradictions. Adams et sa librettiste, la poétesse Alice Goodman, furent bientôt accusés d’antisémitisme. Après le 11-Septembre, l’œuvre fut déprogrammée et de nouveau l’objet de controverses.

« Méprisable ».

Concernant WTC 9/11, le scandale couve depuis plus d’un mois malgré les déclarations de Nonesuch : « L’album marque le 10e anniversaire des attaques terroristes sur le World Trade Center, ce qui est le sujet de la composition de Reich et, corrélativement, de la pochette. »
Ce n’est pas tant la crudité de la photographie, prise par Masatomo Kuriya, qui a choqué que son virage sépia, interprété comme une souillure par certains. Image «méprisable», selon le compositeur Phil Kline, compagnon de route de Jim Jarmusch et de Nan Goldin. D’autres, plus fins, ont argué que l’image ne convenait pas à la musique parce qu’elle réduisait la portée de l’œuvre. Et de suggérer des solutions alternatives, comme celle utilisée pour le disque de John Adams de 2002, autrement plus consolateur sur le même sujet, On The Transmigration of Souls, qui représente le ciel de Manhattan dans une lumière crépusculaire.
Pour finir, Steve Reich a décidé de faire refaire la pochette incriminée (le CD ne sort qu’en septembre), afin que la controverse ne pollue pas l’écoute.

 La pochette pressentie

  La photographie originale [Masatomo kuriya]

 La pochette définitive