Apparition de
l'abstraction en peinture
vocabulaire
Le contexte : C'est la situation générale dans laquelle se
situe ce qui est peint. Cette situation peut-être historique, mythologique, religieuse,
documentaire, etc.
Le motif : C'est ce qui est peint, identifiable vis à vis du réel : une personne, un
arbre, un animal, etc.
La facture : C'est la façon de peindre, c'est à dire la façon de déposer la matière sur le support. Cette manière peut être minutieuse, lente,
rapide, violente, répétitive, légère, matiériste, etc.
L'abstrait : C'est une production qui ne se réfère pas au réel. Les éléments qui la constituent sont perçus pour leurs qualités propres, en interaction les uns avec les autres.
Pour
produire de l'abstrait, il faut se «débarrasser» de plusieurs choses : renoncer au contexte, renoncer au motif, à l'anecdote, au « beau dessin », qui témoigne d'une faculté à restituer fidèlement ce que l'on voit. Dans cette optique, la
facture se libère complètement, L’œuvre devient une émanation directe de l'artiste, son tempérament, son regard, son énergie, ses moyens techniques… Tout ce qu'il y a à voir n'est que les traces laissées par tout ça.
Depuis le
15° siècle, en Europe, la facture tend à prendre de l'importance. Le geste du peintre, son « humeur » du moment, son énergie face au support sont des données nouvelles que Michel-Ange, par exemple, a contribué à apporter. Depuis cette
époque, les peintres
importants ont une facture personnelle, appelée leur «style».
Jean Honoré Fragonard, la liseuse, 1772 |
Il faut
attendre la fin du 18° siècle avec le romantisme pour voir une véritable libération de la façon de peindre, dans laquelle le peintre en tant que
personne, ses idées et ses ressentis
prend une vraie importance, au détriment du contexte, de l'anecdote, et du motif. Dans
cette libération « personnelle » des peintres, le vide va prendre lui aussi une
importance nouvelle, en partie sous l'influence du Japon.
En
Angleterre, William Turner va faire évoluer fortement cette approche lors des dernières décennies du 18° siècle, en s'éloignant du motif, et en privilégiant la matière picturale pour elle-même, le vide, et la composition des masses optiques.
En France,
il faut attendre les années 1870, après Fragonard, pour voir un ensemble de réflexions tendant à libérer le geste du peintre
dans la direction de l'abstraction, ce sont les impressionnistes. Ils ne seront
pas abstraits, ni désireux de l'être, mais parmi eux Claude Monet va parfois atteindre
un niveau d'éloignement vis à vis du motif, et un emploi de la couleur seule, qui
lui fera franchir la « limite » de l'abstraction, même si ce n'était pas son but véritablement.
Claude Monet, nymphéas 5, vers 1890 |
D'autres
courants de pensée apporteront leurs
propositions et leurs prises de conscience juste après 1900 ; le fauvisme d'Henri
Matisse, qui propose que la couleur n’obéisse qu'à sa propre expressivité, sans suivre ni le réel ni le dessin.
Henri Matisse, femme au chapeau, 1905 |
Ou encore
le cubisme, en la personne de Paul Cézanne, qui propose un regard analytique sur le monde.
Systématisation de la touche
picturale, débarrassée en partie de l'émotion, des modulations et des « effets » que la peinture peut
produire pour susciter de l'émotion.
L'abstraction
Toutes ces prises de conscience depuis la fin des années 1700 se concrétisent en 1909, ou 1910, suivant les sources. Un
peintre russe, Wassily Kandinsky, peint la première œuvre volontairement
abstraite, sous la forme d'une petite aquarelle. Il est le premier à proposer concrètement une œuvre dans laquelle le plaisir esthétique, l'harmonie, la cohérence de l’œuvre n'ont pas besoin de motifs ou de prétextes illustratifs issus du réel.
Wassily Kandinsky, aquarelle, 1909 |
Après 1909, l'abstraction de formes fluides qui semblent
improvisées, qu'on appellera
abstraction lyrique, va s'enrichir d'un mode de pensée différent : l'abstraction géométrique. Dans cette
dernière, c'est le peintre
hollandais Piet Mondrian qui propose pour la première fois à partir de 1912 une
esthétique orthogonale qui
se veut universelle, harmonique et intellectuelle.
A cette époque, l'abstraction lyrique est perçue comme un élan émotionnel, spontané, et humain, alors que l'abstraction géométrique est perçue comme une mise en ordre de la compréhension du monde, organisatrice et cérébrale.
En 1918 le
peintre russe Kasimir Malévitch semble donner
raison à cette catégorisation en créant, après de nombreuses formes
noires, le carré blanc sur fond blanc.
Il interroge, en se servant d'un nouveau concept minimaliste, l'intérêt de la peinture, l’absence quasi totale de choses à voir, et finalement l'intérêt de peindre, et de créer.
Kasimir Malévitch, Carré blanc sur fond blanc, 1918 |