dimanche 27 octobre 2013

Petite histoire de la lettre 2/2


Tous les textes, sauf mention contraire, sont issus du livre de Claude Médiavilla Calligraphie Editions de l'Imprimerie Nationale 1993.

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 De la Renaissance à nos jours

1 // L'ECRITURE HUMANISTIQUE 

2 // DE LA CALLIGRAPHIE A LA TYPOGRAPHIE 

3 // LE CARACTERE ROMAIN ET ITALIQUE

4 // LE GARAMOND

5 // LE ROMAIN DU ROI

6 // TYPOGRAPHIE DES LUMIERES...

7 // SANS SERIF

8 // AVEC LE MICRO-ORDINATEUR

9 // LA CLASSIFICATION Vox ATypI

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1 // L'ECRITURE HUMANISTIQUE

Ecriture humanistique du XVe siècle, calligraphiée à la plume d'oiseau, ressemblant à s'y méprendre à une typographie. Paris, Bibliothèque Nationale.
 A partir du XVe siècle, un vaste mouvement culturel va rompre progressivement avec les valeurs médiévales liées à la féodalité : c'est la renaissance. Cette période, qui va voir renaître les valeurs de l'Antiquité, sera vécue par ses contemporains comme une véritable révolution politique, économique et culturelle.
(...) L'homme de la renaissance, l'humaniste, étudie les textes anciens avec un regard neuf, exempt de tout dogme et de tout préjugé. La libre critique de la raison, la curiosité et le goût des valeurs humaines sont omniprésents.
(...) Dès le XIIIe siècle, la transformation de l'écriture carolingienne en écriture gothique paraît presque achevée. Cette graphie inédite se caractérise alors par la brisure des courbes, la ligature des lettres rondes et l'apparition de nombreuses abréviations. Dans l'ensemble, l'Europe s'accommode parfaitement de l'esthétique gothique. Mais il en va tout autrement en Italie, où la brisure des formes s'harmonise mal avec le modèle culturel en vigueur. Historiquement, l'important centre intellectuel de l'Université de Bologne, toujours friand de nouveautés, assimile le premier la lettre gothique et la restitue sous forme de gothique ronde ou rotunda.
(...) Héritière manifeste de la caroline, la minuscule humanistique s'illustre à la perfection dans la Renaissance italienne sous l'impulsion du notaire florentin Poggio Bracciolini (1380-1459). Il forme de nombreux scribes dans son scriptorium.
Mise au point par Poggio Bracciolini et ses disciples, la lettera antica formata ou humanistique prend une dizaine d'année pour s'imposer en tant qu'écriture de livre de luxe. Jusque-là (1412), les copistes étaient restés plus ou moins anonymes. Plus tard, cependant, apparaissent des scribes professionnels qui signent leurs œuvres. Antonio di Mario est assurément l'un des scribes les plus remarquables du quattrocento.

Les page splendides des scribes du quattrocento servirent évidemment de modèle à l'imprimerie naissante, conformément à la loi qui régit la relation calligraphie-typographie. "La lettre typographique ne peut point être séparée de la lettre écrite. Elle en dérive, souvent elle en est même une copie fidèle" (Jean Murtville).
Gutenberg et ses collègues allaient donc puiser dans ce fond d'une richesse considérable, tout en s'efforçant de pasticher les manuscrits. A partir de 1465, nous assistons à la création d'une série de caractères romains imitant l'écriture humanistique.


Bible 42 lignes dite de Gutenberg (enluminée)

Bible 42 lignes dite de Gutenberg.
Au XVe siècle, l’écriture gothique est partout présente.

Pour reproduire des textes, en dehors de la copie manuelle, on les grave sur des planches de bois (xylographie) mais ces planches sont fragiles. Elles résistent mal à la pression des presses.
En 1428, un graveur allemand de Mayence a l’idée de fondre des caractères mobiles en métal. C’est GUTENBERG. Cette invention permettra de composer lettre par lettre les mots et les phrases du livre et de les imprimer en nombre au lieu de les écrire à la main un à un. Le premier livre imprimé est la bible latine de 42 lignes de Gutenberg, ainsi appelé parce que chaque page comprend 2 colonnes de 42 lignes chacune.
Abstraction faite des caractères gothiques utilisés par Gutenberg en 1450 lors de la mise au point de son invention, le premier romain ou caractère droit inspiré de l'humanistique est créé en 1465, suivi, en 1470 du merveilleux caractère inventé par Nicolas Jenson qui servit à imprimer "La préparation évangélique".
Ce romain à empattements triangulaires épais marque le passage de la calligraphie à la composition typographique. Jenson va ainsi libérer la minuscule de ses accolements calligraphiques, ne conservant que quelques doubles lettres telles le ‘st’, le ‘ct’, le ‘ff’ et le ‘fl’. La tonalité générale du caractère est régulière, d’un aspect reposant pour l’œil et d’une facilité de lecture qui tranche avec les lettres gothiques qui l’ont précédé. Jenson allait ainsi unifier la minuscule calligraphique avec la capitale latine, en donnant plus d’ampleur à ladite minuscule et en substituant à la graisse uniforme des traits de la lettre latine le jeu des pleins et des déliés. Ceci entraîna un élargissement de l’approche des lettres, autrefois plus resserrées, isolant de manière décisive la lettre. Ce romain reçut un accueil si enthousiaste qu’il en consacra l’usage et en assura la diffusion. Son fonds fut acquis en 1479 par Andrea Torresano, beau-père d’Alde Manuce
source : http://classes.bnf.fr/livre/arret/histoire-du-livre/imprimerie/04.htm
Le Jenson et ses descendants sur le blog de Muriel Paris : http://typomanie.fr/?p=1560
source CALLIGRAPHIE Claude Mediavilla [p 195]
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2 // DE LA CALLIGRAPHIE A LA TYPOGRAPHIE

Dans les années qui suivent directement l’invention de l’imprimerie, les imprimeurs reproduisent les seuls modèles de livre qu’ils connaissent : les manuscrits. Ils reproduisent donc naturellement l’écriture, la mise en page et l’organisation du livre médiéval.
(...) Si l’imprimerie est au point dès 1455, l’imprimé, lui, ne se distinguera du manuscrit que lentement et progressivement.
Les historiens et les bibliophiles ont ainsi été amenés à définir la notion d’incunable, dont la racine latine signifie berceau. Ce terme désigne les livres imprimés avant le premier janvier 1501. (...)
Gravant les premiers caractères typographiques, Gutenberg reproduit le seul modèle d’écriture à sa disposition : l’écriture gothique alors employée en Allemagne pour copier les manuscrits. Sa bible est ainsi composée dans une gothique dite textura, écriture très rigide habituellement réservée aux textes liturgiques. (...)
La lettre gothique sera progressivement délaissée par les imprimeurs français à partir des années 1530, au profit des caractères romains et italiques.

http://www.garamond.culture.fr/


3 // LE CARACTERE ROMAIN ET ITALIQUE

Au début du XVe siècle, les lettrés italiens avaient donc délaissé la gothique au profit d’une écriture plus souple, désignée habituellement sous le nom d’humanistique, inspirée à la fois de la capitale romaine antique et de la minuscule caroline.

Lorsque Sweyheim et Pannartz installent leurs presses à Subiaco en 1465, ils réalisent que les caractères gothiques employés en Allemagne ne sont pas du goût des lecteurs italiens. Ils fabriquent alors les premiers caractères reproduisant les formes de l’écriture humanistique. Cette lettre, désignée sous le nom d’antiqua ou de romain, triomphera dans l’imprimerie. Elle domine encore la typographie aujourd’hui. Sa variante cursive, connue en calligraphie sous le nom de Cancellaresca (chancelière), est réalisée à Venise pour le compte de l’imprimeur libraire Alde Manuce en 1499 : elle sera désignée en France sous le nom d’italique.
http://www.garamond.culture.fr/

Italique (appelée aussi chancellière). Alde Manuce
La grande innovation qu’Alde Manuce, dans son atelier de Venise, apporta à la typographie fut de faire fondre par Francesco Griffo de gracieux caractères semi-cursifs. Ces caractères rappelaient plus un romain incliné qu’un véritable italique, mais désormais nul romain ne serait gravé sans sa version italique. Bien plus serré que les romains traditionnels, l’italique permettait à l’imprimeur de gagner de l’espace et d’abaisser ainsi les coûts de production. Le premier livre imprimé avec ce caractère fut un Virgile paru en 1501.
(...) On doit aux Manuce d’avoir répandu la littérature grecque en l'imprimant sous la forme de volumes si petits (in octavo) et vendus à un prix si compétitif, qu’on a pu prétendre qu'ils avaient inventé le livre de poche.

http://classes.bnf.fr/livre/arret/histoire-du-livre/imprimerie/04.htm

Rapidement, les grandes fonderies européennes (celle de Plantin à Anvers, ou de Le Bé à Paris) acquièrent ces polices de caractères : la typographie italienne, améliorée par les graveurs français, se diffuse ainsi à toutes les imprimeries d’Europe, qui l’emploieront jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

4 // LE GARAMOND

Specimen des types Garamond
En 1544, le fameux typographe français Garamond dessine le caractère portant son nom.
(...)
Entre 1536 et 1559, trente-quatre caractères différents peuvent lui être attribués, parmi lesquels dix-sept romains, sept italiques, huit grecs et deux hébreux.

Respectant les proportions de la capitale épigraphique romaine et reprenant les principales caractéristiques des types aldins, les « Garamond» romains possèdent des majuscules légèrement plus basses que les ascendantes des bas de casse, et un peu plus étroites que celles auparavant existantes.
Ils se singularisent par un axe oblique remonté vers la verticale.
Le « e » minuscule avec sa barre horizontale contraste nettement avec le 
« e» humanistique. Mais, la différence réside surtout dans la « couleur » du texte composé. Il apparaît plus aéré, mieux rythmé, plus plaisant et d’une grande régularité au regard.
Les « Garamond » romains deviennent les caractères de lecture livresque par excellence et, à bien des égards, le demeurent toujours.


Caractère de texte par excellence, le Garamond est toujours largement employé dans l’édition en France. Il fait figure de monument, incarnant l’intemporalité des textes qu’il véhicule, dans le cadre de la Bibliothèque de la Pléiade, publiée par Gallimard.

http://www.garamond.culture.fr/



5 // LE ROMAIN DU ROI

Planche du Romain du Roi (copie écran)
Poinçon du Romain du Roi par Grandjean

Suite à la commande par Louis XIV d’un caractère pour l’Imprimerie royale, une commission est mise en place à l’Académie des Sciences, dirigée par l’abbé Jaugeon, pour établir une manière rationnelle de tracer l’alphabet.
Cette vaste étude entend satisfaire le désir de Louis XIV de se doter d’un style propre à son règne et de disposer de types royaux, comme François Ier (selon les historiens du temps).
Abandonnant la tradition calligraphique qui nourrissait jusque là la création de caractères typographiques, elle met au point une grille très fine de 2304 carrés et, à l’aide de règles et compas, définit un alphabet. 
(...) La typographie tend à normaliser l’écriture livresque en imposant au dessin des lettres des contraintes matérielles et techniques.

http://www.garamond.culture.fr/





Enfants du classicisme du XVIIIe siècle, le "romain du Roi" donne son nom à la catégorie des caractères Réales qui sont austères, marqués par la rationalité et le réalisme de l’époque encyclopédique. Les Réales sont considérés comme des caractères de transition entre les Garaldes et les Didones.
Caractéristiques physiques :
- plus de contraste entre les pleins et les déliés,
- empattements triangulaires mais plus fins,

- 1720 CASLON (Angleterre)




- 1755 BASKERVILLE



Baskerville [John Baskerville]
Le Baskerville a été créé par John Baskerville, un fondeur de caractère et un imprimeur anglais à la fin du XVIIIe siècle. Elle est considéré comme une réale. En effet, avec ses proportions généreuses, le Baskerville n’apparait pas très différent de ses prédécesseurs.
Mais le contraste entre pleins et déliés est plus marqué, de plus les empattements des bas de casses sont quasi-horizontale et les hampes sont déjà assez verticales.
http://abc.planete-typographie.com/classiques/baskerville.html

6 // TYPOGRAPHIE DES LUMIERES, de l’encyclopédie et de la période révolutionnaire





La base textuelle « Encyclopédie Diderot et d’Alembert » contient 20,8 millions de mots, 400 000 formes uniques, 18 000 pages de texte, 17 volumes d’ articles et 11 volumes de planches avec légende.
Avec 72 000 articles écrits par plus de 140 auteurs, l’Encyclopédie a été une œuvre de référence pour les arts et la science, mais aussi une vraie « machine de guerre » au service des idées  des Lumières. Son succès est considérable pour l’époque : 25 000 exemplaires sont vendus entre 1751 et 1782. A travers l‘essai de classifier la connaissance humaine et de l’ouvrir à tous les lecteurs, l’Encyclopédie devient l’expression de l’un des plus importants développements intellectuels et sociaux de son temps.
http://portail.atilf.fr/encyclopedie/Mise%20en%20garde.htm
http://www.whatfontis.com/
http://alembert.fr/
Les didones
Aboutissement du processus de rationalisation engagé à l’époque classique, les Didones doivent leur nom à celui de la dynastie d’imprimeurs et d’éditeurs français Didot et à l’imprimeur parmesan Gianbattista Bodoni.

http://www.trusiad.fr/cours/litterature/typographie.html

- 1775 DIDOT (France)
- 1780 BODONI (Italie)


jeu graphique avec Didot par Jean Chelsea
7 // SANS SERIF


source : http://flyergoodness.blogspot.fr/
Depuis le XIXe siècle, la mécanisation, puis le modernisme voient la création de caractères beaucoup plus rigides, à empattement rectangulaires dont est issu, par exemple, le PLAYBILL.

Vers 1850, la typographie moderne apparait avec la création de caractères sans empattements, aussi appelés linéale ou grotesque ou gothic.
Vers 1900, la publicité naissante fait se décliner en de multiples graisses des caractères comme le Cheltenham ou le Franklin gothic (Moris, Fuller, Benton, 1903)
En 1925, influencé par le cubisme et le mouvement du BAHAUS, l’allemand Paul Renner crée un alphabet de structure proche de l’alphabet grec classique : le FUTURA.
The north face / helvetica
De nombreux caractères actuels dérivent de cette FUTURA : l’HELVETICA (1958, Meidinger), l’UNIVERS (1957, Frutiger), etc.

Au début des années 1970, A. FRUTIGER conçoit un caractère pour la signalétique de l’aéroport de Roisy-Charles-de-Gaule. Il devient le FRUTIGER. 15 ans le sépare de la création de l’UNIVERS. Le FRUTIGER est classé l’un des meilleurs caractères du genre en terme de lisibilité/visibilité.
8 // AVEC LE MICRO-ORDINATEUR
À la fin des années 1980, avec l’apparition de l’ordinateur, de nombreux graphistes ont inventé une nouvelle approche de la création de caractères, non plus basés sur la lisibilité à tout prix mais sur un jeu graphique.

En 1991, le FF Justlefthand est créé en une nuit avec son alterego Erikrighthand par Just van Rossum et Erik van Blokland, qui, tous deux jouent avec les nouvelles technologies et essayent de dépasser les limitations naturelles de l’informatique.
 Entre les années 1980 et 2000, Neville Brody a conçu des caractères de titrages en étroite relation avec la mise en page et la relation texte/mage (Insigna, Industria, ...) . Il a aussi conçu la FF Blur.

9 // La classification Vox ATypI 

Jeu graphique VOX ATYPI par Marc Vayer
En typographie, la classification Vox-Atypi permet de classer les polices de caractères en douze grandes familles. Inventée par Maximilien Vox en 1952, elle a été adoptée en 1962 par l'Association typographique internationale (ATypI). Cette classification tend à regrouper les polices de caractères selon de grandes tendances, souvent typiques d'une époque (XVe siècle, XVIe siècle, XVIIIe siècle, XIXe siècle, XXe siècle), et ce en s'appuyant sur un certain nombre de critères : pleins et déliés, formes des empattements, axe d'inclinaison, taille de l'œil, etc.

Par exemple, Maximilien Vox a choisi la garamond pour nommer l’une des catégories de son système de classification des caractères typographiques, celle des garaldes – contraction du nom de Garamont et du prénom d’Alde Manuce, l’imprimeur vénitien à l’origine des formes dites « aldines ». Les garaldes regroupent les caractères des XVIe et XVIIe siècles ou dont le dessin, depuis, s’en s’inspire. Cette classification, adoptée par l’Association Typographique Internationale en 1962, constitue le standard international pour les professionnels des arts graphiques.
voir :
et