Allez regarder au cinéma, en cette fin d'année,
La jeune fille sans mains
Un film de Sébastien Laudenbach
De cette implacable récit métaphorique sur la noirceur de la nature humaine, Sébastien Laudenbach
tire un film lumineux, une œuvre qui ne cesse de se réinventer sous nos
yeux. Suggérées en quelques traits sûrs et gracieux, dont la pureté
rappelle le travail de Matisse, les silhouettes se forment et se défont :
le mouvement des corps est aussi celui du dessin en train de naître, de
s’élancer sur le papier. Dans ce tableau si vivant, aéré par un vaste
fond blanc, les couleurs surgissent en léger décalage, en transparence,
en superposition, animent de bleu profond le feuillage d’un arbre, le
rouge alarmant d’une traînée de sang… On retrouve aussi un peu de Raoul
Dufy dans cette vibration, cette drôle de chorégraphie à contre-temps
entre les lignes claires et les divagations du pinceau. [Télérama]
Un film-estampe
Sébastien Laudenbach use d’un remarquable minimalisme, d’une extrême
économie. La perception du film devient un jeu mental consistant à
combiner une gerbe de couleur et un mince bruitage, pour ressentir toute
la richesse d’une action. Il bouleverse aussi les règles de l’immobile
et du mouvant. A rebours de la dialectique traditionnelle du fond fixe
et de l’élément animé, La jeune fille sans mains opère plutôt
par strates de peinture. L’expression du mouvement part du glissement
d’une couche, de l’estompement d’une autre, usant d’un langage d’une
inventivité sans cesse renouvelée et qui semblerait presque parfois
pouvoir se jouer en live…comme un spectacle de lanterne magique qui
ferait se déplacer des estampes sur le faisceau du projecteur.
Le geste est, à vrai dire, si minimal que la matière même du dessin
ne renvoie parfois même plus à l’objet qu’elle représente. Quand la
hache attaque un tronc, c’est la peinture qui tremble plutôt que
l’arbre ; quand une rivière se déverse dans un vallon, c’est le bleu qui
inonde l’écran et ne vaut plus que pour lui-même. On pense souvent au Conte de la princesse Kaguya :
art de conserver l’irrégularité infiniment vivante du croquis,
description apaisée de la nudité et de la sexualité (si précieux dans un
cinéma jeune public), personnage féminin exploré dans son intimité et
ses affects, mais qui tire aussi vers le divin et la fée… [Les Inrocks]