dimanche 5 avril 2020

Chris Ware [Bulding stories]


Chris Ware [Bulding stories]

Dans une grande boite sont rassemblés 14 livres, livret, magazines, journaux et pamphlets. Avec 260 pages au total, Building Stories rassemble 10 ans de travail, notamment publiées en « feuilleton » dans le magazine NewYorker.
« Face à une existence envahie par l’usage des écrans, il est parfois rassurant, voire nécessaire, d'avoir quelque chose à quoi se raccrocher. Ainsi, on trouve dans cette boite souvenir colorée une variété parfaitement équilibrée d'ouvrage conçu pour répondre à pratiquement tous les goûts artistiques ou poétiques imaginables, de la causticité corrosive de la jeunesse au sérieux écœurant de la maturité, tout en suivant une protagoniste qui se demande si elle quittera jamais l'exiguïté des premières années solitaires de l'âge adulte en location pour les vastes étendues à crédit de l'amour et du mariage.
Que vous souffriez de la solitude seul(e) ou avec quelqu'un, ce livre ne peut qu’entrer en résonance avec le sentiment écrasant de vie gâchée, d'occasions manquées et de rêves de création brisés qui frappe le public littéraire des classes moyennes
». Extraits de la jaquette de présentation
"Building stories" met en scène l'univers dépressif, il faut bien le dire, d'une jeune femme qui se bagarre avec un gros mal de vivre, isolée qu'elle se pense à la fois dans son appartement, dans son immeuble, dans la ville. Chris Ware met en scène la vie de cette femme, mais également la vie d'un immeuble qui devient lui-même un personnage à part entière dans l'histoire.
Chris Ware est un dessinateur obsessionnel qui travaille à la "ligne claire", avec des traits toujours d'épaisseurs homogènes ; les espaces sont représentés en x, y z, soit de face, soit de profil, et ses perspectives sont toujours parallèles, soit des axonométries, des isométries ou des perspectives cavalières.

Building stories unboxing :


 ------------------------------------------

Dans un grand désordre, voici une succession d'images captées dans "Building stories" et commentées. Peut-être trouverez-vous dans ces exemples des idées de "mise en forme" dont vous pourrez vous inspirer.
Côte à côte, des vignettes qui restituent pour les unes une succession de gestes, en zoom sur des objets figés, et pour les autres, des représentations du contexte générale, ici la cuisine ; par contrastes, mise en valeur des vides et des pleins ; mise en valeur d'une certaine forme de silence.

Les couleurs sont utilisées par Chris Ware en aplats et, dans certaines zones de surfaces délimités par le trait noir, il met en valeur des contrastes de luminosité. Ici, la couleur du visage est désaturée en son centre pour témoigner de la projection de lumière de l'écran, mettant en valeur l'interaction avec l'usage de l'ordinateur dans un espace lui-même assombri.

Une belle perspective cavalière au traits blancs sur fond bleu sombre et intense. La perspective cavalière permet de "poser" les objets d'un espace les uns derrière les autres, dans un espèce de classement factuel. Chris Ware — comme beaucoup de dessinateur·trice·s qui racontent une histoire dans un espace toujours le même a dessiné son immeuble et les appartements dans lesquels évoluent ses personnages —, a dessiné ces espaces indépendamment de l'histoire, comme s'il effectuait une recherche documentaire, une enquête spaciale, comme un architecte qui témoigne d 'un espace déjà existant pour imaginer ses propres projets.

Souvent, Chris Ware dessine ses personnages dans des positions figées, et anime le récit par une disposition fractionnée des phylactères (bulles) dans lesquelles les pensées ou les dialogues se distribuent.

Lorsque le personnage principal sort de l'espace "confiné", de l'appartement, par contraste, Chris Ware représente l'espace de la rue avec beaucoup d'amplitude. Il positionne le personnage comme un petit objet, au centre en bas des vignettes.
Parfois, Chris Ware rompt avec son procédé graphique habituel et incorpore des croquis exécutés rapidement dans sa mise en page. Il évoque ainsi pour le lecteur la "construction" du récit lui-même.

Le récit général de Chris Ware est constitué d'une multitude de récits différents, souvent muets. Ici est déployée une succession d'images qui représentent les gestes qui précède le coucher du personnage, très simplement et le simple signe répété des yeux restés ou vert du personnage nous incite à penser l'insomnie qui vient.

Evidemment, Chris Ware a développé, au fil de toutes ces années de travail, un "style" personnel, un graphisme qu'il applique de façon systématique. Mais ça ne l'empêche pas de capter des images du réel, de reproduire des éléments du réel pour les introduire dans le flot de ses images. Ici, une photo de famille.

Parfois, Chris Ware rompt avec le flot de petites vignettes accumulées et propose une seule grande image par page. L'espace est traité comme un personnage à part entière, le cadrage de cet espace vient renforcer la situation des personnages, perdus dans leurs calculs domestiques (la "fin de mois" semble difficile) et le jeu de la fillette accentue la "prise de tête" des parents.
Par un simple jeu de cadrages différents dans la même image, Chris Ware nous raconte ici le "regard dans la glace". Parfois, une même image réutilisée avec des cadrages différents, des zooms différents, permet de raconter une situation particulière, sans avoir à multiplier les images différentes.

Mini histoire sans paroles.

Une même situation peut-être représentée de points de vue différents. Ici, un magnifique champ/contre-champ qui permet de mettre en valeur les sensations créées par la neige et évoquer le contraste intérieur/extérieur

Dans les "jeux de glace", on ne sait plus bien faire la différence entre personnage, narrateur et lecteur. Ici, la simple situation d'une toilette partagée entre la mère et sa fille, en une seule vignette, évoque une grande interrogation métaphysique.

Une vignette peut aussi devenir simplement une illustration qui vient appuyer le texte qui devient alors la priorité.
Dans ce livre-coffret, "Building stories", un des livrets est d'un format tout en longueur, surtout quand le codex se déploie en double-page. C'est une des façons de mettre en scène la linéarité du récit, de mettre en valeur une forte chronologie des événements qui s'enchaînent les uns par rapport aux autres.

L'accumulation de vignettes sur une même page permet de "suspendre le temps".

Le personnage principal est souvent spectateur de sa propre vie.

Autour de l'image centrale d'un visage de grande taille se distribuent sur une double page de nombreuses vignettes de tailles et de formes différentes, carrés et cercles, qui ponctuent le récit du déroulement de la rencontre.

Autour d'un immeuble traité comme un plan, des petites séquences se distribuent qui deviennent presque des pictogrammes, des synthèses d'un événement ou d'une situation donnée.

L'immeuble est traité comme une "maison de poupée" et les différents ingrédients (espaces, objets, personnages) des histoires qui vont se dérouler sont pointés et traités à égalité.