Né à Hanovre en 1887, Kurt Schwitters
a suivi des cours de dessin à l’académie de Dresde et à celle de
Berlin. Ses œuvres, d’abord figuratives, subirent l’influence de tous
les mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle. C’est en 1918 que
l’artiste tourne le dos brusquement et définitivement à la peinture
traditionnelle, même sous ses formes les plus avancées. Peu à peu, il se
compose, entre 1918 et 1920, une esthétique personnelle, fondée sur la
substitution de déchets et de détritus de toutes sortes aux matériaux
nobles (huile, couleurs, pigments). Exclu du mouvement Dada Berlin, il
réagit en fondant Dada Hanovre. Ce mouvement était fondé sur
l’apolitique (à l’opposé des conceptions de Dada Berlin, qui était un
mouvement engagé politiquement), le fantastique et le constructivisme. [Persécuté par les nazis,] en 1937, Schwitters quitte définitivement l’Allemagne ; ses œuvres sont
retirées des musées et quatre d’entre elles sont présentées à Munich à
l’exposition de l’Art dégénéré.
Grand " fouilleur " de la société industrielle et de la
réalité urbaine, il intégrait à ses œuvres tout ce qu’il trouvait au
hasard de ses recherches : billets de tramway, cigares, fil de fer,
bref, tout ce qui avait été rejeté par la société. L’artiste, refusant
une reproduction illusoire de la réalité, faisait au contraire " entrer "
la vie, de façon fracassante, dans le domaine de l’art. Pour
Schwitters, le monde entier pouvait en effet constituer une œuvre d’art.
L’artiste appela ses constructions " Merz ", partie centrale du mot
Kommerzbank.
À partir de 1920, Schwitters étendit à d’autres domaines
sa conception de l’" art total Merz ", et notamment à l’architecture,
au théâtre et à la poésie. Dans son logement à Hanovre, il entreprit
cette même année l’édification d’une immense structure en plâtre et en
matériaux divers, la "Schwitters-Säule" (colonne Schwitters), qui
envahit peu à peu toutes les pièces et même tous les étages de sa maison
et qu’il baptise du nom de Merzbau (construction Merz) ; elle était en
outre sans cesse modifiée par l’artiste.
Le Merzbau à Hanovre était un intérieur d’une manière
fantastiquement construit, aussi ahurissant qu’il était abstrait. Les
murs et le plafond ont été couverts de divers objets et constituaient
par endroits des grottes. Certains objets obstruaient totalement ces
dernières par des additions postérieures au travail, avec le résultat
que leur contenu puisse avoir seulement existé dans la mémoire de
l’artiste. Le Merzbau était - selon le principe - un travail inachevé et
continué à se développer, changeant constamment. Le point de départ du
travail était le studio de Schwitters dans sa maison au numéro 5
Waldhausenstrasse. Toutefois le travail s’est développé jusqu’à envahir
tout son espace car, juste avant l’émigration de Schwitters en Norvège,
huit pièces avaient été "merzées", y compris la lucarne dans le toit et
l’espace sous le balcon de groundfloor. Le centre réel du Merzbau était
la Schwitters-Säule. L’artiste avait par le passé remarqué que tout ce
qui était d’une quelconque importance pour lui a été contenu dans le
Merzbau. Ce rapport se réfèrait non seulement aux idées et au concept
artistique global de Schwitters mais également aux objets concrets et
journaliers : des souvenirs des amis et d’autres choses de valeur
sentimental ont été stockés dans les places et murés dedans plus tard.
Il y avait des grottes, par exemple, pour Hans arp et Theo van Doesburg
et d’autres comme consacrées aux choses et aux idées abstraites, par
exemple une grotte de l’Amour.
En définitive, le Merzbau était un genre de bâtiment des
réminiscences personnelles et historiques, une sorte autobiographie
construite et en construction car en perpétuelle évolution. Cette
autobiographie était alimentée par les objets que l’artiste y rajoutait
mais surtout par le fait qu’il vivait dans son Merzbau, ce qui témoigne
de son immersion totale dans son art. Cette construction dans laquelle
Schwitters a voulu concrétiser ses aspirations et ses hantises,
témoignage unique de sa personnalité, fut malheureusement détruite lors
des bombardements, en 1943. (...)