Collecté par Marc Vayer sur Télérama.fr
Décryptage
Des pubs qui tuent pour la Tunisie
Le 16 mai 2011
LE MONDE BOUGE
- La tension, les balles, les ruines… mais pas celles que l'on imagine.
Le campagne publicitaire commandée par le ministère tunisien du
Tourisme a une agence tunisienne s'affiche depuis le 9 mai dans les
journaux français. Elle vante une Tunisie “sea, sex and sun” au moment
précis où le couvre feu vient d'être réinstauré.
Le mauvais slogan, au mauvais
moment. Un vrai cauchemar pour un publicitaire. Une campagne de
communication commandée par l’Office national du tourisme tunisien vante
depuis une semaine, dans nos journaux, le farniente de l’autre côté de
la Méditerranée : « Il paraît qu’en Tunisie, la tension est à son comble
», ironise la publicité qui invite les touristes à revenir « bronzer
sur de belles plages de sable fin ».
Au
moment où Tunis vit à nouveau sous le couvre-feu après une semaine de
manifestations violemment réprimées par la police, cette campagne ne
risque pas de redresser le secteur touristique en berne. Une industrie
qui représente 7% du PIB tunisien et emploie, au bas mot, 400 000
personnes.
Les deux autres visuels de la campagne sont d’un goût tout
aussi moyen quand on sait la Tunisie politiquement très fragile, avec
des dizaines de milliers de réfugiés libyens aux frontières :
Selon l'Office du tourisme
tunisien, le gouvernement a réservé une enveloppe de trois millions
d'euros pour cette campagne.
Alors pourquoi ne pas avoir stoppé cette
opération, la semaine dernière, quand les manifestations et la violence
gagnaient Tunis et une partie du pays ? « On a bien réfléchi, on a pesé
le pour et le contre […]. Ces événements sont sérieux pour nous les
Tunisiens mais d’un point de vue touristique il n’y a aucun risque,et
pas de problème de sécurité », estime Syrine Cherif, responsable de
l’agence tunisienne Memac Ogilvy, qui a conçu la campagne :
Même sans couvre feu, est-ce que
la Tunisie « sea, sex and sun » du tourisme de masse est celle que les
publicitaires doivent mettre en avant quand la révolution et la liberté
recouvrée des Tunisiens leur offrent un formidable thème de
communication ? Des communicants Français s’y étaient essayé en février,
quelques semaines à peine après la révolution, à travers une campagne «
I love tunisia » destinée au Net et aux réseaux sociaux. Mais là,
surprise, le ministre du Tourisme du gouvernement provisoire, Mehdi
Houas, a fait appel à un professionnel, Bastien Millot, proche de l'UMP
et compagnon de route de Jean-François Copé. Pas rancunier, le ministre
du Tourisme sollicitait donc un communicant bien en cours dans les
cercles de la majorité à Paris, à un moment où la France courrait après
une révolution qu’elle n’avait pas vu venir.
« Je ne connaissais pas
personnellement le ministre du Tourisme », assure Bastien Millot, 39
ans, pdg de l’agence Bygmalion, par ailleurs chroniqueur à Europe 1 et
ancien membre de l’équipe de direction de France télévision. « C’est le
Club du XXIe siècle [un cercle d’influence qui, depuis 2004, réunit
notamment des chefs d’entreprises et des banquiers, souvent d’origine
étrangère, NDLR] qui nous a mis en contact. C’est vrai que certains
présentent Bygmalion comme une “boîte proche de l’UMP”, j’ai travaillé
dix ans comme collaborateur de Jean-François Copé et il m’arrive encore
de le conseiller à titre amical, mais le ministre du Tourisme ne m’a
jamais dit qui m’avait recommandé. »
La campagne « I love tunisia »
et son slogan « The place to be… now ! » a coûté, d’après Bastien
Millot, la somme modeste de 8 000 euros pour une présence furtive, à
partir du 14 février, sur le Net et les réseaux sociaux.
Humour
involontaire ? Le site, aujourd’hui en déshérence, n’oublie pas de
mentionner Tabarka, le lieu de réveillon 2010 de l’ancienne ministre
française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avec cette
mention : « Les longues plages de Tabarka ont encore une allure
indomptée qui ravira les amoureux de nature. »
En matière de
communication touristique, c’est finalement le chef historique du
mouvement islamiste Ennahdha qui a fait un sans faute. Le 17 avril à
Hammamet, Rached Ghannouchi a pris habilement à rebrousse poil ses
ennemis politiques. « Ni l’islam, ni la révolution ne représentent une
menace pour le tourisme », a-t-il déclaré. Mais surtout, le chef
islamiste qui dit vouloir attirer de nouvelles catégories de touristes
dotées d’un pouvoir d’achat élevé a pris la défense du tourisme
culturel. Dans son catalogue de voyage, le leader islamiste a même
inclus la découverte de la Tunisie sur les traces d’un célèbre chrétien :
Saint Augustin ! Ghannouchi l’islamiste, plus fort que les
publicitaires ?