En mars 2013 était ici reproduit le bel article de Eric Dahan sur " l'expo Bowie". Où l'on (re)découvrait que David Bowie était à l'origine constante de l'ensemble des créations autour de son travail musical.
Bowie // Yamamoto |
par Eric Dahan libération le mag 23/24 mars 2013
Reportage
Le musée Victoria et Albert de Londres explore avec « David Bowie Is » l’héritage esthétique et social de l’artiste le plus influent des quarante dernières années.
L’annonce, il y a un an, du projet d’une grande exposition consacrée à David Bowie par le musée Victoria et Albert de Londres ne nous avait pas enchanté. Certes, plus que tout autre artiste de la musique populaire, l’auteur-compositeur de Ziggy Stardust et Station to Station méritait un tel traitement, tant son œuvre et sa personne ont influencé la chanson et la mode d’aujourd’hui. Mais l’idée d’une exposition nous semblait morbide, réduisant l’artiste à des fétiches à contempler sous verre, là où un site comme YouTube offre un stock renouvelé chaque jour de performances scéniques et musicales inédites, mises en ligne par des fans et permettant d’entendre ou réentendre, voir ou revoir, l’artiste à son meilleur, vivant pour l’éternité. On imaginait déjà comment ce qui fut avant tout du rock’n’roll, même si déviant ou sublimé, allait être dialectisé ad nauseam par le jargon si prévisible de l’art contemporain et des médias, se repaissant de tartes à la crème de la déconstruction, comme la suspension des logiques du genre, de l’identité, de l’auteur et de la signature.
On sait que Bowie a brouillé de façon spectaculaire les frontières entre masculin et féminin avec le personnage de Ziggy Stardust, qu’il a fait entrer le rock dans l’ère postmoderne de l’intertextualité, du «simulacre», du fétichisme généralisé, pour reprendre les concepts de Jean Baudrillard. Mais n’est-il pas plus important qu’il ait écrit Panic in Detroit ou TVC 15 ? Une exposition peut-elle montrer l’écriture littéraire la plus moderne du rock, l’originalité des alliages de timbres, le génie d’interprète trouvant pour chaque syllabe la couleur qui convient, et dont le catalogue de nuances n’a rien à envier à celui d’un Fischer-Dieskau lorsqu’il rend justice à un Lied de Schubert ou Mahler ?
Cette exposition se justifie pourtant pleinement car sans la théâtralisation de son art, sans sa présentation photographique et scénique flamboyante, sans son inscription dans un faisceau de références culturelles allant du kabuki à l’expressionnisme allemand en passant par le cinéma hollywoodien, l’art ironique et profond de David Bowie serait peut-être passé inaperçu ou n’aurait touché, au maximum, qu’une poignée d’esthètes. A quelques jours de l’ouverture de l’expo à laquelle il n’a pas participé, mais pour laquelle il a donné libre accès à ses archives personnelles, David Bowie a publié The Next Day, son premier album en dix ans, sous pochette à la Duchamp, actuellement numéro 1 sur iTunes dans 64 pays et numéro 1 des ventes physiques dans 12 pays. Parallèlement, «le plus grand musée d’art et de design au monde» annonce 40 000 tickets préachetés.
« Robe » rayée en vinyle
Un tel engouement unanime pour la musique et la personne de David Bowie ne s’était pas vu depuis 1983, année où il publia Let’s Dance, fut à l’affiche de deux films, Furyo, de Nagisa Oshima, et les Prédateurs, de Tony Scott, fit la couverture de Time Magazine et multiplia par dix son public : 100 000 personnes à chacun de ses deux concerts à l’hippodrome d’Auteuil, pour ne parler que de la France, lorsque, cinq ans plus tôt, il se contentait de deux fois 10 000 spectateurs au Pavillon de Paris. Ce contexte de plébiscite mondial, auquel le New York Times vient d’ajouter la touche finale en qualifiant The Next Day de «chef-d’œuvre crépusculaire», conditionne évidemment la perception que l’on peut avoir de l’exposition au musée Victoria et Albert : purement nostalgique et destinée aux fans de l’artiste, du rock ou de la mode, «David Bowie Is» devient l’exposition qu’il faut avoir vue pour être de son temps.
Première question que tout le monde se pose, et surtout les déçus de la dernière exposition Bob Dylan, passée l’an dernier à la Cité de la musique de Paris, «David Bowie Is» est-elle importante en taille ? Oui et non. Les cinq salles, contenant 300 objets sur les 75 000 répertoriés dans la collection privée de l’artiste, se visitent en une heure. Mais l’on peut y passer la journée si l’on lit tous les manuscrits, regarde tous les documents vidéo, étudie de près tous les costumes, et si l’on s’installe dans la salle qui diffuse les films où David Bowie joue ou fait une apparition.
Le designer japonais Kansai Yamamoto - qui n’hésite pas à affirmer qu’il fut le plus important costumier de David Bowie et que leur collaboration fut aussi importante pour le chanteur que pour lui-même - a de toute évidence été entendu puisque c’est sa «robe» rayée en vinyle noir qui ouvre l’exposition. Elle est toutefois flanquée d’une vidéo de Gilbert & George et d’œuvres de John Cage et Carl Andre, histoire de rappeler que l’on n’est pas au Hard Rock Café.
Au-dessus de la robe, une citation de David Bowie datant de 1995, époque où il publia Outside et mentionna souvent en notre présence le philosophe américain et historien de l’art Arthur C. Danto. Formé par Maurice Merleau-Ponty à la Sorbonne, Danto enseigne depuis 1951 à l’université Columbia de New York et a écrit de nombreux ouvrages influencés par la philosophie de l’histoire et l’esthétique de Hegel, concluant à la «fin de l’art». La citation de Bowie placée en exergue de l’exposition est donc la suivante : «Tout est instable. La signification de l’œuvre n’est pas nécessairement celle voulue par l’auteur. Il n’y a pas de voix qui fasse autorité. Il n’y a que des lectures multiples.»
Passé ce préambule, on entre dans la préhistoire de l’artiste qui quitta l’école à 15 ans pour devenir pop star et qui, au début des années 60, ne pouvait imaginer qu’il parlerait un jour la langue des philosophes et que l’on utiliserait le mot «polysémie» à propos de rock’n’roll. Au mur, la plaque blanche «Stansfield Road, SW.9» rappelle que David Bowie est né et a grandi au numéro 40 de cette rue de Brixton, dans la banlieue sud de Londres. Photos du joli bébé, cahiers scolaires, train électrique, affiche d’un concert de Jimi Hendrix auquel il a assisté, ou de la pièce de théâtre Look Back in Anger, dont il utilisera le titre pour l’une de ses chansons, première apparition télévisée où Bowie se fait porte-parole des garçons aux cheveux longs qui en ont marre d’être moqués dans la rue ; rien ne manque pour comprendre qu’il ne s’est pas fait en un jour, même s’il affirma très tôt sa vocation.
Elève en arts graphiques au collège technique de Bromley, où il eut pour professeur le père de la future star pop Peter Frampton, Bowie dessine, dès 1962, les costumes et attitudes de scène des Konrads, avec qui il enregistra ses premiers 45 tours. Dans les écouteurs donnés à l’entrée et réagissant aux capteurs positionnés dans l’exposition, la voix du jeune Bowie explique : «Je voulais devenir célèbre, brancher les gens sur de nouvelles choses.» Puis : «Je pensais que j’avais de la chance car j’étais artiste, donc que j’échapperais à la folie», allusion à la schizophrénie dont souffrait une partie de sa famille et notamment son demi-frère Terry qui, interné à la fin des années 60, se jeta sous les rails d’un train au milieu des années 80. Bowie l’a évoqué dans ses chansons All the Madmen, The Bewlay Brothers et Jump, They Say.
S’il a toujours récusé le qualificatif d’inventeur, préférant celui plus humble de «passeur» dont les chansons sont des «polaroïds» ou «instantanés d’une époque», Bowie n’en a pas moins été l’initiateur d’une génération. Il est d’autant plus savoureux de l’entendre dire dans les écouteurs à propos du saxophoniste de jazz Eric Dolphy, au jeu avant-gardiste pour l’époque : «Je ne comprenais rien à sa musique mais je me suis persuadé que j’en étais fan jusqu’à ce que je finisse par l’aimer.» Ou : «Je mettais des livres bien trop compliqués pour mon âge dans ma poche, avec le titre en évidence, pour que les gens voient à quel point j’étais intelligent. Mais comme je les lisais, ça finissait par porter ses fruits.»
Tournée Aladdin Sane |
L’apparition de Ziggy Stardust
A côté de l’affiche pour un concert qu’il partage avec T. Rex et d’une photo de Lindsay Kemp, son professeur de mime, un communiqué de sa maison de disques présente Bowie comme un fin lettré citant Kafka, Pinter, Wilde mais également John Rechy, l’auteur beaucoup plus marginal de City of Night (Cité de la nuit), un roman paru en 1963 et décrivant, un an avant le Last Exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr., le monde des prostitués homosexuels de New York et Los Angeles. Les références du communiqué ne sont pas moins impressionnantes : le Ragtime for Eleven Instruments, de Stravinski, là où d’autres se seraient contentés de mentionner le Sacre du printemps, les symphonies de Dvořák, Holst, Elgar et Vaughan Williams, et les big bands jazz de Glenn Miller et Stan Kenton.
La deuxième salle s’ouvre sur Space Oddity, dont elle recrée le contexte : le tableau cinétique de Vasarely ayant servi à la pochette du disque, l’affiche du film 2001 : l’odyssée de l’espace qui a inspiré la chanson, un texte de J.G. Ballard extrait de son roman psychotique The Atrocity Exhibition - préfacé par William Burroughs parlant à la suite d’Alexander Trocchi (un écrivain beat écossais) de «cosmonautes de l’espace intérieur». On trouve aussi la partition manuscrite, la photo du Time qui révéla en 1969, après le retour de la mission Apollo 8, que la Terre était bleue et non verte comme on l’avait toujours cru («Planet Earth is blue», chante Bowie dans Space Oddity), le stylophone dont il joue sur le disque et, enfin, le jumpsuit gris adorné de motifs inspirés par Le Corbusier et porté sur la pochette du 45 tours de 1980, Alabama Song/Space Oddity, peu après que Bowie a réenregistré son classique pour l’émission Dick Clark’s Salute to the Seventies, passée sur NBC en 1979.
Le temps d’évoquer la sortie londonienne du Chelsea Girls de Warhol en 1968, puis la venue à Londres de sa troupe pour y interpréter Pork, en 1971, une pièce trash évoquant ouvertement sexe et drogue, et Kubrick est à nouveau sollicité afin d’introduire le personnage de Ziggy Stardust pour lequel Bowie s’est inspiré du look des droogies d’Orange mécanique : «L’ultraviolence en imprimé Liberty», ironisera-t-il à propos de sa propre version. Trônant dans une immense vitrine entourée de projections vidéo, le costume porté par Bowie à l’émission Top of the Pops où il chanta Starman, le 6 juillet 1972. Une date importante que cette première apparition télévisée en Ziggy Stardust, car presque tous ceux qui virent l’émission, de Boy George à Ian McCulloch en passant par Siouxsie Sioux, eurent alors la révélation de leur destin pop.
Tous les costumes portés par Bowie sont là et justifient à eux seuls le voyage en Eurostar. Ils sont signés Freddi Buretti et Kansai Yamamoto (pour la période Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Diamond Dogs), Ola Hudson (mère de Slash, futur Guns N’Roses, qui habilla Bowie pour l’Homme qui venait d’ailleurs et la tournée de 1976, où il incarna le Thin White Duke), Natasha Korniloff (la tournée Stage de 1978, le costume de Pierrot de l’album Scary Monsters et du clip Ashes to Ashes), Peter J. Hall (le costumier d’opéra qui habilla le Serious Monlight Tour de 1983) ou encore Alexander McQueen (pour l’album Earthling et le concert des 50 ans au Madison Square Garden).
On parie même, en ce jour où débute l’exposition, que quelques visiteurs seront frappés par le syndrome de Jérusalem et aussitôt évacués par le service de sécurité, en voyant intact, à un mètre de distance et sans vitrine, le costume bleu glacier du clip de Life on Mars ou celui de Ziggy Stardust dans un cercueil de verre façon Rudolph Valentino. L’un des costumes les plus étonnants est celui réalisé à partir d’un modèle conçu par Sonia Delaunay pour la pièce dada de Tristan Tzara le Cœur à gaz, de 1921. Bowie en commanda une copie pour sa performance télévisée de 1979 au Saturday Night Live, où il interpréta, entre autres, The Man Who Sold the World avec, pour choristes, le transformiste Joey Arias et le contre-ténor techno pop Klaus Nomi, qui reprit ensuite le costume de Bowie pour ses propres prestations scéniques.
Un moonwalk dont Michael Jackson se souviendra
Du saxophone utilisé par Bowie pour Pin Ups en 1973 à un télégramme que lui a envoyé Elvis Presley («From a king to a king»), les reliques ne manquent pas. Métaphysique ? Les clés de l’appartement situé 155 Hauptstrasse, dans le quartier berlinois de Schöneberg, où habita l’écrivain Christopher Isherwood en 1925. Bowie y vécut avec Iggy Pop de l’automne 1976 à fin 1978 et composa les albums Heroes pour lui-même et The Idiot et Lust for Life pour le rockeur américain.
Mais il y a mieux : les esquisses préparatoires. Les dessins de costumes, décors de scènes, pochettes de disques, storyboards de vidéos et de spectacles montrent que Bowie conçoit absolument tout, même s’il délègue à d’autres artistes la réalisation technique. C’est à partir de dessins de Bowie que Guy Peellaert a peint la pochette de Diamond Dogs, que Mark Ravitz a réalisé les décors de la tournée inspirée par 1984 de George Orwell et Metropolis de Fritz Lang, que David Mallet a coréalisé le clip de Ashes to Ashes, ou que Alexander McQueen a taillé le costume «Union Jack» de la pochette d’Earthling.
Parmi les projets n’ayant jamais abouti, on adorerait lire un jour The Return of the Thin White Duke, autobiographie commencée sur le tournage de l’Homme qui venait d’ailleurs, ou encore le scénario du long métrage que Bowie a écrit au début des années 90 et n’a jamais réalisé. On n’est pas moins fasciné de découvrir ici le storyboard d’un projet de film inspiré par le projet Diamond Dogs et l’apocalyptique «Hunger City», dont l’exposition exhibe des planches crayonnées et légendées par Bowie : «Des patineurs portant des torches avancent vers nous. Les personnages nous poursuivent dans des allées. L’image d’un patineur flotte entre les dents d’une bouche. Un gros plan sur les dents montre qu’il s’agit de deux enfants-victimes qui se battent pour se libérer.»
Renvoyant à la scénographie du show Ziggy Stardust au Rainbow Theater, sont projetées sur des échafaudages géants des images inédites de la tournée Diamond Dogs, c’est-à-dire différentes de celles utilisées par Alan Yentob pour le documentaire Cracked Actor. Ce spectacle novateur - on parla alors de Broadway Rock - influença nombre d’artistes qui le virent à l’Universal Amphitheater de Hollywood, dont Michael Jackson, qui se souviendra dix ans plus tard du moonwalk de David Bowiepour le clip de Billie Jean.
Avec Diamond Dogs, Bowie, dont l’écriture avait déjà été marquée par la poésie beat, utilisait pour la première fois la technique du cut-up inventée par Brion Gysin et William Burroughs, ce que rappelle l’exposition qui offre une vidéo du Verbasizer en action : ce programme conçu en 1994 par un ami informaticien de San Francisco à la demande de Bowie permet de diviser un texte en morceaux et de les recombiner pour produire de nouvelles phrases ; soit une version automatisée et instantanée du cut-up. Juste à côté se trouve le jeu de cartes Oblique Strategies inventé par Brian Eno et Peter Schmidt, une sorte de tarot pour artistes utilisé par Bowie durant l’enregistrement de sa trilogie Low, Heroes et Lodger. L’une des cartes dit : «Utilise des gens non qualifiés», ce que Bowie fit en demandant à ses musiciens d’échanger leurs instruments pour enregistrer la chanson Boys Keep Swinging. Ceux qui connaissent l’œuvre de Bowie et, avec 140 millions d’albums vendus, cela fait du monde, se régaleront de voir la liste des chansons prévues sur Hunky Dory, dont We Should Be on by Now qui deviendra Time sur Aladdin Sane, ou encore Lady Stardust, Hang on to Yourself et Moonage Daydream, qui finiront sur Ziggy Stardust, et enfin Hole in the Ground, que Bowie enregistra en 2000 pour son album officiellement inédit Toy, mais dont tous les fans ont une copie pirate.
Chefs-d’œuvre ironiques et poétiques
Pas moins réjouissants, les textes manuscrits et raturés de dizaines de chansons montrant que Bowie accumule des phrases anodines qui peuvent paraître ineptes, avant, dans l’excitation du studio, de les transformer, compresser et réorganiser pour produire des chefs-d’œuvre ironiques et poétiques. Pour les historiens et chercheurs, cette exposition est un puits sans fond. Lorsque l’on écrivit dans ces mêmes colonnes, il y a trois ans, l’histoire de l’album et de la tournée Station to Station, on aurait aimé disposer de la liste des chansons répétées dans la maison de Keith Richards en Jamaïque, dont Young Americans, Wild Is the Wind, Sorrow, Fascination et Golden Years. Quant au Major Tom de Space Oddity, on découvre, à la lecture d’un projet de film qui devait accompagner la sortie de l’album Young Americans en 1975, qu’il aurait dû faire son retour cinq ans avant la chanson Ashes to Ashes.
Des portraits d’Iggy Pop et de Yukio Mishima peints par Bowie durant son séjour à Berlin sont mis en regard de l’une de ses sources d’inspiration, à savoir le peintre dada George Grosz. Enfin, une salle permet, pour ceux qui en douteraient encore, de visionner un montage vidéo de défilés de mode et couvertures de magazines comme Vogue, montrant que les looks, costumes et maquillages de Bowie ont été imités, copiés, pastichés, repris, détournés par tous les grands noms de la couture, du prêt-à-porter et de la photographie.
«David Bowie figurait déjà dans de nombreux départements du musée, comme la section photo, art, mode, graphisme et même Asie, expliquent Victoria Broackes et Geoffrey Marsh, commissaires de l’exposition. Nous voulions montrer que son œuvre dépasse de loin le monde de la chanson et du rock.» Ce que prouve encore brillamment l’essayiste Camille Paglia dans l’article bourré de références, de Shakespeare à Man Ray, qu’elle signe pour le catalogue.
Retiré dans son penthouse surplombant Manhattan, le prophète multimédia d’une apocalypse déjà advenue et d’un futur mutant, le Zarathoustra pop qui réaffirma, un siècle après Nietzsche, la nécessité d’inventer ses propres valeurs, n’a, aussi paradoxal que cela puisse-t-il sembler, jamais été aussi présent.
Enquête
David Bowie : Lumière blanche et magie noire
Sorti en 1976, l’album «Station to Station »
fait l’objet d’une réédition augmentée d’un live de l’époque, mixé
récemment sous contrôle de l’artiste. Enquête sur les traces du Thin
White Duke, dernier «personnage» du rocker moderniste.
New York, juillet 2010. Aperçu au concert de Jeff Beck, quelques semaines plus tôt, David Bowie n’a toujours pas donné de nouvelles depuis que la chaîne Sky News a annoncé, en 2008, qu’il souffrait d’un cancer du foie - information qu’il n’a ni démentie ni confirmée. Photos et vidéos de paparazzis le montrent dans les rues du sud de Manhattan où il réside, marchant seul, ou accompagné de son épouse Iman et de leur fille âgée de 10 ans. Qu’après quarante ans sous les feux des médias, le rocker prophète préfère les joies simples d’une vie anonyme n’aurait en soi rien de surprenant. Son retrait du métier est même très relatif, si l’on additionne ses apparitions, ces dernières années, sur scène (avec Arcade Fire, David Gilmour), en studio (avec TV On The Radio, Scarlett Johansen) ou sur des plateaux de cinéma (le Prestige, August). Le 28 septembre, Bowie publiera une nouvelle édition de son Station to Station de 1976, assortie d’un double live enregistré le 23 mars de la même année au Nassau Coliseum de Uniondale (Long Island).
Ziggy, Aladdin Sane, Halloween Jack
Si tous les disques gravés par David Bowie durant les années 70 demeurent exceptionnels, Station to Station jouit d’une aura particulière. La musique que Bowie a créée pour le Thin White Duke, son dernier double fictif - après Ziggy Stardust, Aladdin Sane et Halloween Jack -, la façon épurée dont il a incarné le personnage sur scène, constitueraient le sommet de son art. Souvent questionné sur Station to Station, David Bowie a toujours répondu n’avoir aucun souvenir de son enregistrement. A l’époque, il déclarait : «Ce disque peut s’entendre comme un appel à l’aide, et une supplication adressée à moi-même de rentrer en Europe.» Trente-cinq ans plus tard, sa réédition est l’occasion d’interroger deux témoins : Carlos Alomar et Harry Maslin. Le premier fut le guitariste rythmique de James Brown en 1968, puis de Bowie à partir de 1974, ainsi que le directeur musical de toutes ses tournées de 1976 à 1987. Le second coproduisit Station to Station avec Bowie et fut contacté, il y a deux ans, pour le remastériser, le remixer en 5.1, et pour mixer le concert du Nassau Coliseum, retransmis à l’époque à la radio et connu de tous les fans par les éditions pirates. Alors qu’on se dirige vers le Stevens Institute of Technology de Hoboken (New Jersey), où Carlos Alomar enseigne les applications musicales de la guitare numérique, retour sur l’été 1975.
David Bowie est numéro 1 aux Etats-Unis avec Fame, extrait de l’album Young Americans témoignant de sa mutation inouïe en soul brother. Cosignée avec Alomar et John Lennon, la chanson annonce les rythmes robotiques et l’esthétique dépouillée de Station to Station. Sur un riff funk, ralenti comme dans un cauchemar, Bowie y décrit l’envers de la célébrité : «Ce que tu obtiens, c’est pas d’avenir/et ce dont tu as besoin, il faut l’emprunter.» Son manager Tony De Fries s’était enrichi, le laissant sur le carreau, et Bowie, après avoir entamé une action en justice, s’était relocalisé à Los Angeles. Tourné en 1974, le documentaire Cracked Actor le montre très amaigri, assis à l’arrière de sa limousine, demandant constamment à son chauffeur s’ils sont suivis par la police… Milieu 1975, à en croire les rumeurs, Bowie ne se nourrit plus que de cocaïne, de poivrons et de lait frais, trace pentagrammes magiques et arbre de vie cabalistique sur le sol et les murs de sa maison et conserve son urine au réfrigérateur pour éviter qu’elle tombe entre des mains mal intentionnées. En pleine interview avec un journaliste de Rolling Stone, il s’interrompt pour allumer un cierge noir car il vient de voir un corps tomber du ciel. D’autres affirment avoir assisté à l’apparition de la Bête de l’Apocalypse, au bord de sa piscine… Station to Station va refléter ce désarroi mais aussi une «renaissance» comme le confie alors Bowie à Rolling Stone : «Je suis un grand idéaliste et voir mes efforts mal compris, m’a rendu pessimiste. Mais je me sens fort aujourd’hui. J’ai l’impression que je vais changer à nouveau le cours des choses. Je ne sais pas combien de temps encore mes albums vont se vendre. Je pense qu’ils vont devenir plus radicaux, divers et extrêmes… Car je hais la faiblesse. Le rock’n’roll est devenu une chose stérile, bruyante et fasciste qui condamne les gens à la bêtise. Ça a toujours été la musique du diable. Mais les gens vont se remettre à l’écoute de Dieu. Pas comme les hippies, non. D’une façon médiévale, virile, active, qui replacera le monde sur la bonne voie. J’ai l’intime conviction que l’artiste est également le médium de son art. Sur la tournée Ziggy Stardust, j’étais vu comme le Messie. Je crois que j’aurais fait un parfait Hitler.»
Le tournage au Nouveau-Mexique, en juin et juillet 1975, du film de Nicolas Roeg, l’Homme qui venait d’ailleurs, où il tient le rôle principal, donne à Bowie l’occasion de débuter un projet d’autobiographie intitulée «The Return of the Thin White Duke». Une fois rentré à Los Angeles, Bowie s’enthousiasme à l’idée de composer une B.O. expérimentale pour ce film de science-fiction et d’abandonner le rock pour devenir réalisateur de cinéma, mais sa maison de disques RCA le presse de fournir un nouvel album et un nouveau tube. Il rappelle Carlos Alomar, le batteur Dennis Davis, l’ingénieur du son et coproducteur Harry Maslin, tous associés au succès de Fame, et engage le bassiste George Murray. Alomar raconte : «David m’a demandé de rappliquer avec Dennis Davis et juste précisé que l’album serait beaucoup plus rock que Young Americans. Il parlait de groupes allemands bruitistes, répétitifs ou électroniques comme Neu!, Can et Kraftwerk. En conséquence, je devais prévoir un nouvel équipement en termes d’amplis et pédales d’effets. On a développé les titres dans un local de répétitions puis aux Studios Cherokee, à l’automne 1975.»
Pour coïncider avec les apparitions de Bowie dans des shows télévisés comme Soul Train, le single Golden Years paraît en novembre 1975, mois où il annonce son retour sur scène en Amérique du Nord, et, après trois ans d’absence, en Europe. Construite sur le balancement harmonique (Fa dièse majeur/Mi majeur) du standard On Broadway, la chanson est, comme le reste du disque, partie de rien. «David a martelé un accord au piano et m’a dit : "Cherche des riffs de guitare là-dessus"», explique Alomar, ajoutant : «On faisait tourner différentes rythmiques puis David repartait avec des copies cassettes. Quand il revenait, trois jours plus tard, ce qu’on pensait être un refrain était devenu un couplet, puis il y avait un nouveau pont à intercaler. David était sous pression, les gens de RCA passaient donner leur avis et ça le rendait furieux. On était tous sous coke, mais pas pour faire la fête : pour travailler trente-six heures d’affilée !»
Même méthode pour Stay et Station to Station : «David me demandait de trouver des riffs sur un ou deux accords et puis il développait à partir de ça. Voir Bowie et Earl Slick enfiler leurs guitares et enregistrer larsens et sons tordus à plein volume sur Station to Station fut un grand moment. On disposait plusieurs amplis en mur circulaire, chaque ampli restituant le son d’une pédale d’effet différente. Le résultat était saisissant. Pour les ballades comme Wordonawing, David jouait les accords à la guitare sèche et on le suivait. Une fois les bases de toutes les chansons posées, David a fait venir le pianiste Roy Bittan et le choriste Warren Peace, puis enregistré sa voix et ses parties de claviers et saxophone.» Si des compositions comme Fish et Shady sont abandonnées, Bowie achève sa reprise du It’s Hard to Be a Saint in the City de Bruce Springsteen, commencée durant les séances de Young Americans et qui ne sera publiée qu’en 1989 dans le coffret Sound and Vision.
«Delay et réverbération»
Les Studios Cherokee ont fermé en 2007 mais Harry Maslin vit toujours à Los Angeles et a répondu, cet été, à nos questions. «Le plus difficile fut le mixage, au Studio Hit Factory de New York, se souvient-il. A l’époque, les consoles n’étaient pas automatisées et le nombre de pistes limité à 24. Pour TVC 15 ou Station to Station, j’avais été obligé d’enregistrer plusieurs instruments sur une même piste ; chacun de ces instruments requerrant des paramétrages différents en termes de fréquence, dynamique, position dans l’espace panoramique, delay et réverbération. Ce qui fait qu’au mixage, à plusieurs reprises dans un même morceau, il fallait modifier l’affectation des sous-canaux des différentes pistes, en débranchant des fiches, sans se tromper. Je suis ensuite rentré à Los Angeles pour faire écouter le résultat à David qui l’a approuvé.»
L’album, tour à tour intitulé «The Return Of The Thin White Duke», «Golden Years», puis Station to Station est à peine livré à RCA que Bowie s’enferme avec Maslin et le violoncelliste Paul Buckmaster pour enregistrer la musique de l’Homme qui venait d’ailleurs. Furieux d’apprendre qu’il est en concurrence avec d’autres, il refuse de faire écouter au réalisateur ses compositions dont seule Subterraneans, complétée pour l’album Low, est, à ce jour, connue. En décembre 1975, Bowie rappelle Alomar, et lui confie la direction musicale de la tournée dont les répétitions auront lieu en Jamaïque. «J’ai ramené Dennis Davis et George Murray, et découvert, sur place, le pianiste Tony Kaye et le guitariste Stacey Heydon, engagés par David, raconte Alomar. On vivait dans la maison de Keith Richards à Ocho Rios, on allait à la plage et on passait les après-midis et soirées à essayer des dizaines de titres, comme Drive in Saturday ou Starman, qui n’ont pas été retenus dans la liste finale. C’est en arrivant à Vancouver qu’on a découvert l’aspect visuel du show et compris pourquoi David avait commencé par nous isoler. Le côté sombre et intériorisé de sa performance, demandait une grande rigueur et il voulait qu’on soit également concentrés. J’ai alors deviné que le personnage du Thin White Duke devait sans doute beaucoup au héros du film qu’il venait de tourner.»
Bruit de train
Quand RCA met Station to Station dans les bacs, le 23 janvier, et quand débute la tournée, personne n’a encore vu l’Homme qui venait d’ailleurs qui ne sera dévoilé qu’en mars, à Londres. L’album dont la pochette reproduit une image du film, a de quoi dérouter, mais se classe numéro 3 aux Etats-Unis. Bowie semble s’y mettre à nu comme jamais, et, dans l’industrie du spectacle, l’émotion, même feinte, reste payante. Il y aborde les thèmes de l’aliénation, l’angoisse, l’amour, et celui du surhomme qui le hante depuis des années, mais aussi de nouveaux comme la foi, le salut, et le triomphe de la santé sur la maladie, évoqué par Niezstche dans l’avant-propos du Gai Savoir.
Musicalement, le disque sonne comme une synthèse décantée de son langage, en six titres, dont une reprise de la romance Wild Is the Wind, signée en 1957 par Dimitri Tiomkin et Ned Washington pour le film du même nom. Hormis cette reprise, le single Golden Years, et l’élégiaque Wordonawing, le reste de l’album évoque un mélange de funk urbain et de rock avant-gardiste, et annonce Low et Heroes que Bowie enregistrera ensuite à Berlin.
L’intro de Station to Station est légendaire : un bruit de train, une stridence de guitare électrique, puis un inquiétant intervalle chromatique (Do#/Do) au piano qui entraîne tout le groupe sur un mouvement de balancier entre La majeur et La mineur. Ce tic-tac, chargé d’électricité comme un ciel d’orage, est rejoint au bout de trois minutes par le chanteur qui annonce «le retour du Mince Duc Blanc lançant des flèches dans les yeux des amants» ; allusion directe à l’écrivain britannique Aleister Crowley qui pratiquait l’occultisme. Suivent trois minutes d’une litanie rageuse et sépulcrale entre ces deux accords dont l’alternance répétée traduit l’idée d’impasse.
Le Mince Duc Blanc est nerveusement lessivé. Il a cherché des réponses à ses questionnements métaphysiques dans l’occultisme païen, le christianisme, la Kabbale juive - tous référencés de manière cryptique dans la chanson - et n’a récolté que la folie. Mais dans une deuxième partie, l’horizon se dégage et le rythme évolue en chevauchée disco. Le dernier homme - sauvé par l’amour ? - a muté en surhomme : «Le canon européen est ici», chante-t-il.
Si dans diverses interviews, Bowie s’imagine Premier ministre d’un gouvernement fasciste en Angleterre et confond le sauvetage de son mental en péril avec celui de l’Europe, ce qu’annonce le Mince Duc Blanc, tel le Zarathoustra de Nietzsche, c’est la fin de l’Histoire : «Il est trop tard, pour pouvoir encore être en retard.» Au terme de cette odyssée de dix minutes, inspirée des stations de la Croix, des épreuves traversées par les héros de la Flûte enchantée de Mozart ou du Siegfried de Wagner, le Mince Duc Blanc découvre, qu’il est «un homme parmi un million» à qui il incombe d’inventer ses propres valeurs, sur les ruines des illusions anciennes.
Monde postatomique
Voix de spectre ou d’exalté, Bowie sonne tout aussi novateur sur TVC 15 qui raconte l’histoire d’une petite amie avalée par son téléviseur «hologrammique», et le frénétique Stay qui évoque solitude et incommunicabilité dans le monde postatomique. Persuadé - à juste titre - que le folklore urbain de l’avenir réalisera l’hybridation du rhythm’n’blues et des synthétiseurs, il a trouvé la formule alchimique parfaite : chaleur et pulsion noires, froideur conceptuelle blanche. Il ne s’agit pas de fusion ou de métissage, mais de produire un choc esthétique d’autant plus violent que chacun des musiciens joue dans un style idiomatique différent. Emprunté à Bruce Springsteen, le pianiste Roy Bittan pratique le honky-tonk des bordels de La Nouvelle-Orléans, ajoute la touche festive de ragtime et de cabaret berlinois, tout en s’inscrivant de façon organique dans la polyrythmie. Engagé à 22 ans sur la tournée Diamond Dogs de 1974, Earl Slick fait gronder sa guitare en dehors de la tonalité, multiplie bendings et larsens, déchire l’espace de hoquets, cris d’effroi ou pleurs lancinants ; en peinture, ce serait un «expressionniste abstrait».
Quant à la section rythmique new-yorkaise - les Afro-Américains Davis et Murray, le latino Alomar -, elle est entrée dans l’histoire, pour sa haute technicité, son inventivité débridée, sa puissance de frappe, et la joie qui se dégage de son jeu. Mais également pour sa complicité artistique de 1975 à 1980 avec un artiste alors extraterrestre. Carlos Alomar se souvient : «Dennis et moi étions amis depuis les années 60, mais, quand Bowie nous a présenté George Murray, ça a tout de suite collé : il parlait peu et arrimait le tempo à la basse comme personne. Il permettait à Dennis de jouer avec une certaine liberté métrique, et à moi de placer un maximum d’accords, mais il répondait aussi à nos syncopes à la vitesse de l’éclair.»
Le 2 février 1976, le Thin White Duke fait ses débuts devant 18 000 spectateurs au Pacific Coliseum de Vancouver. Pas de première partie. A la place, un écran sur lequel est projeté Un chien andalou, le court métrage surréaliste réalisé, en 1929, par Buñuel et Dali, et l’album Radioactivity de Kraftwerk, craché par les haut-parleurs. Pas plus de décor, choristes ou danseurs : un mur de néons zénithal et des faisceaux de lumière, créant découpes brutales ou ombres portées, dans la tradition du théâtre en noir et blanc de Brecht. Pantalon et gilet de costume noirs, chemise blanche, cheveux gominés et paquet de gitanes en guise d’accessoire, le Thin White Duke entre sur Station to Station, évoquant un crooner échappé du Cabinet du Docteur Caligari. En quatre-vingt dix minutes, il offre au public américain ce qu’il réclame : une bonne dose de rock’n’roll et de boogie, mais en version futuriste. Une synthèse de blues, métal, disco et funk qui donne un impact démoniaque à ses, déjà classiques, Suffragette City, Rebel Rebel, Diamond Dogs et Jean Genie.
Lyrisme échevelé
Lorsque la tournée fait étape au Nassau Coliseum, à une heure de Manhattan, le groupe est à bloc, le public en délire. La qualité sonore du pirate laissant à désirer, le mixage de ce concert par Harry Maslin va révéler à ceux qui ne les connaissent pas, des interprétations éblouissantes de Changes, Wordonawing ou Fame. Les mêmes seront frappés par l’énergie du rocker sur Queen Bitch, son pouvoir chamanique sur les foules quand il chante Life on Mars ou Five Years, et estomaqués de découvrir cette chose si rare dans le rock d’aujourd’hui : cinq supersolistes d’un lyrisme échevelé, qui rivalisent de figures ornementales ou fonctionnelles, mais toujours motrices, à la double croche.
Seule déception, Panic in Detroit : à trop détimbrer la basse, tenir l’orgue en laisse et le priver, comme la guitare solo, de sa réverbération psychédélique, Maslin perd la cohérence architecturale et la puissance dramatique, de ce monument de rock vaudou. Les mixages ayant été «approuvés, un à un, par David Bowie qui a juste demandé quelques retouches» - dixit Maslin-, le coffret de 3CD, vendu à moins de 20 euros, reste, malgré cette réserve, une publication majeure.
La presse anglaise fit à l’époque un triomphe au retour du Thin White Duke dans sa patrie : «Les Rolling Stones ont pris un sacré coup de vieux», écrivirent, en substance, certains. Le chanteur qui déclarait quelques mois plus tôt en avoir fini avec le rock («J’ai eu mon tour, c’était marrant mais destructeur, je ne referai plus jamais de tournée»), est reparti pour trente ans. Il reste que le message du Thin White Duke est toujours obscurci par sa légende. A peine arrivé en Europe, Bowie est arrêté par les douaniers est-allemands en possession de livres sur le nazisme. Le 2 mai 1976, il lève le bras pour saluer la foule venue l’accueillir à Victoria Station ; immortalisé à mi-course par un photographe, son geste ambigu finit en une. En 1992, nous l’interrogions à ce propos et il répondit : «Crois-moi, la seule chose qui m’ait jamais branché chez les nazis, c’est leurs bottes.»
Sa philosophie, le Thin White Duke, l’a clairement révélée, le 23 mars 1976, aux spectateurs du Nassau Coliseum, intercalant au milieu de sa reprise du Waiting for the Man de Lou Reed, ces quelques lignes parlées : «Pas de collines trop escarpées/Pas de montagnes trop hautes/En affichant votre foi/Vous pouvez tous les conquérir.» Bowie s’en souviendra au moment d’enregistrer l’album Let’s Dance et de concevoir le Serious Moonlight Tour de 1983 qui le verra consacré «Dieu des stades». Et réaliser - en version pop et humaniste - son rêve de domination planétaire, pour en guérir définitivement.