mardi 21 avril 2020

Récits imagés, références semaine 5


Le lettrage à la main me fait toujours plus rêver, il est souvent inégalable esthétiquement et émotionnellement, il fait partie intégrante d'un dessin, il en fait même son âme... Une BD avec un lettrage "police de caractères" à l'ordi est pour moi, bien souvent, amputée. Les gens ne se rendent pas compte que c'est tellement important ! Pour certains c'est "juste du texte", mais il prend forme, il prend vie, il devient émotion. C'est grâce à sa forme qu'inconsciemment on entend telle ou telle voix pour un personnage, que l'on cerne sa psychologie, et c'est justement aussi ce qui fait la différence entre une BD et un livre illustré. L'oralité est de rigueur. On n'écrit jamais exactement pareil à la main, au même titre que l'on ne parle jamais exactement pareil... Les auteurs rechignent de plus en plus a lettrer à la main faute de temps, mais vous remarquerez que vos BD préférées sont probablement lettrées à la main... 
[Interview de Marie Aumont, spécialiste du lettrage de Blake et Mortimer]

INTRO
N’importe quel type de dessin sera toujours mis en valeur par un lettrage adapté.
Même un croquis très rapide sera mis en valeur par un bon lettrage.
Même un dessin dont on n’est pas très content soi-même en tant que dessinateur pourra être mis en valeur par un lettrage adapté, cohérent graphiquement.
Dans sale domaine de la BD, on utilise le terme LETTRAGE, plutôt que calligraphie. On garde le terme typographie pour le lettrage mécanique et digitalisé. [En arts graphiques, le lettrage est le fait de tracer à la main des lettres et des textes, sans recourir à la typographie (polices de caractères préexistantes formées de caractères en relief, ou aujourd’hui polices numériques), ni pratiquer la calligraphie au sens strict.]
Bien faire coïncider la forme typographie avec le dessin, c’est donner une garanti d’homogénéité à l’ensemble. Le mieux, c’est évident lorsque le dessinateur développe sa propre écriture et s’il y a donc une correspondance logique de forme entre lettrage et dessin.

Un bon exemple l'alliance entre homogénéïté, personnalité de l'écriture et lisibilité malgré tout : Claire Brétécher.





1/ LISIBILITE
Le critère qui compte le plus dans le cas d’une BD ou d'un dessin avec lettrage, c’est celui de la LISIBILITE. Choisir d’abord la lisibilité, ça veut dire utiliser n’importe quelle forme de lettrage, du moment qu’il est le plus lisible possible.
Ça veut donc dire abandonner un lettrage qui ne serait pas clairement lisible.
J’insiste donc, simplement pour dire qu’il faut abandonner dans tous les cas notre écriture commune, triviale, celle qu’on utilise pour prendre de notes rapides ou pour écrire des cartes postales à ses grand-parents.
Il faut privilégier une écriture travaillée, spécifiquement travaillée pour être lisible.
Bien-sûr, dans des cas très particulier, on peut jouer avec l’illisibilité du lettrage, par exemple, exploser les formes typo lorsque l’image montre une explosion ou « gondoler » une forme typographique lorsque le personnage rêve, etc. 

Voir Franquin pour Gaston Lagaffe :

Planche récapitulative de quelques lettrages honomatopés de Franquin.

Gaston Lagaffe / Franquin

2/ MANUAIRE
La plupart du temps, lorsqu’il s’agit d’associer lettrage et dessin, c’est une écriture de type calligraphique qu’on utilise. 
En typographie, ça correspond à la classification MANUAIRE, qu’on peut aussi appeler SCRIPT ou même LINEALE SCRIPT (script sans empattements).
Il s’agit évidemment alors de renforcer le caractère manuel de l’ensemble image/texte, l’aspect artisanal, la cohésion entre un dessin manuel (même fabriqué sur un ordi) et une écriture qui connote cet aspect manuel.
Il est très difficile d’aller vers d’autres types de lettrages car là encore, il s’agit d’être immédiatement lu par le lecteur, sans filtre de compréhension. Si on utilise des lettrage « typographiques », de type mécaniques ou digitalisés, on apporte d’autres connotations qui peuvent « brouiller » la compréhension immédiate.

Mon conseil : passer du temps à chercher et « construire » son propre lettrage.

Quelques liens pour aller plus loin :

Vous pouvez aller regarder sur les éditeurs de polices gratuites pour vous inspirer d’écritures manières déjà digitalisée. Du genre : http://www.1001fonts.fr/font-65-bd-bande-dessin%C3%A9e.htm
Le paradoxe marrant, c’est que pour développer sa propre écriture manuelle personnelle, on va étudier des polices de caractères digitalisée qui sont elles-mêmes issues d’écritures manuscrites.

Ici, une analyse comparée de certains dessinateurs célèbres : http://www.atelierbdtournefeuille.org/technique-bande-dessinee/le-lettrage-en-bande-dessin%C3%A9e

ici, l’article très clair du terme lettre sur wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettrage

Quelques règles de base, genre tuto : https://jjblain.pagesperso-orange.fr/new_site/apprendr/dessine/calligraphie/index.htm

Voici un texte un peu long mais qui décrit dans le détail la différence entre lettrage manuscrit et lettrage typographique : https://journals.openedition.org/comicalites/1202

Trois questions à Pierre Huyghebaert, graphiste et typographe [France Inter]
Comment caractériser le lettrage chez Franquin ?
Avec une expressivité dingue, le texte ajoute encore une dose de mouvement aux dessins déjà tellement cinétiques de Franquin. La graphie fusionne avec le dessin pour saturer notre lecture d'actions, de secousses, de bascules et de sons. Ses pratiques les plus fréquentes sont la vitesse, les italiques inversés, le degré d'ouverture et d'oblique, la largeur, la tension des arrondis et des pseudos-droites. Et les terminaisons...! 
D’où provient la sensibilité de Franquin à la typographie ?
La pratique du lettrage n'est pas très éloignée de celle du dessin anatomique, avec une compréhension aiguë des tensions et relâchements nécessaires à tel ou tel endroit. Et selon ce qu'ont dit les gens qui ont travaillé avec Franquin, c'était un observateur avide de tout le champ du design autour de lui : architecture, mobilier, textiles, voitures et toutes les machines...
Il n'y a pas de raison que le design graphique et la typographie aient échappé à cet appétit. Et un examen détaillé des dessins montre ses techniques de lettreur avisé, dont l'usage de gouache blanche pour affûter les extrémités et les angles des lettres. 
Est-ce commun à l’époque ? Et aujourd’hui ?
Pour ce que j'en connais, la plupart des dessinateurs de l'école franco-belge avaient une formation empirique du lettrage bien suffisante que pour développer une cohérence avec le reste des traits de leurs dessins. Mais cette pratique s'arrêtait en gros là. Comme dans toutes les dimensions de son dessin, Franquin a poussé nettement plus loin la recherche d'une efficacité graphique soufflante.
Certains dessinateurs américains, ou Gotlib, ont aussi exploré des voies diverses. Le manga présente un champ énorme et forcément très différent à ce niveau. La bande dessinée contemporaine élargit exponentiellement son champ graphique et narratif, et explore aussi d'autres champs du lettrage. Je pense notamment au travail de Chris Ware.